Sara Selma Dolorès échappe à toute assignation. Dans Rire, elle passe de pot de fleurs à plante carnivore. Elle rend l'amour avec les dents. Dans la tradition de la farce médiévale et du théâtre de la place publique, elle dénonce les abus de pouvoir, l'hypocrisie et quelques paradoxes. En pleine dépression générale, elle ose questionner la piste de la rigolade comme une relation au monde et aux autres, sérieusement souhaitable : pour s'émanciper et se rencontrer, pour ressentir autrui, même honni, comme une partie de soi et affirmer la possibilité des alliances hors-normes.
Dans ce texte, il sera question d'esthétique pragmatiste, d'art à l'état vif et de physique quantique.
J'ai ajouté quelques détails sur ma vie privée pour le rendre plus croustillant.
Divulgâcher
J'ai lu pas mal d'articles sur le spectacle.
Je m'interroge. Quel est le but de cette critique passablement mensongère qui ne divulgâche rien au point de ne pas dire qu'il y aura des larmes ?
J'ai commencé à pleurer au moment où la femme pot de fleur comprimée dans une robe de gala qui l'empêche de marcher dévale le grand escalier d'apparat.
La chute est le seul moyen de locomotion possible.
Elle est enfermée dans un costume et les hommes qu'elles appellent à son secours sont pétrifiés et/ou ont cousu la robe.
Cette vision de la femme paquet cadeau qui roule dans l'escalier, qui roule de marche en marche comme une morte dans un linceul flashy...me paraît d'une puissance comique et politique de folie. Cette image contient tellement de vérités.
C'est à la fois une ode aux femmes humiliées, une satire de notre tendance à nous auto emprisonner dans une performativité ou comédie humaine de la féminité façon Schtroumpfette, une critique de la starification et même une moquerie à l'égard des partis politiques groen et ecolo.
C'est tout cela dans la même image complexe...
Oui. C'est vrai. On cingle au passage le parti clivant qui surplombe autant qu'il se vautre. Sara Selma explique qu'elle est habillée en vert pour flatter le public présumé du jour, qui vote Ecolo à tous les coups.
Quand le corps de Sarah heurte la scène je ressens même encore l'impact de mes propres chutes existentielles récentes, dans le cadre d'une histoire amoureuse où je me suis faite éconduire avec une bonne dose de mauvais goût et où j'ai riposté en faisant pas mal de cinéma.
Je hurle de rire. Ma voisine se tourne vers moi pour partager le rire et constate la fontaine de chaudes larmes.
Je me demande qui a pleuré en moi.
Curieusement, l'une des premières idées qui m'est passée par la tête au début du spectacle, c'est une ressemblance entre ce personnage de cabaret hautement en représentation et la femme du président français Macron : Brigitte. C'est sans doute la frange.
Depuis 7 ans, je croise dans la presse le regard éclairé de cette femme comprimée par la fonction et assignée à un garde à vous déplacé.
Comme à chaque fois que j'admire Sara Selma, je la trouve vraiment très peuplée.
Et cela me fait me sentir très peuplée aussi.
Je me demande qui a pleuré en moi ?
La femme quittée, la cocue cosmique ? La comédienne de mes propres dramas ? La femme politique écolo ? D'un point de vue plus profond, l'individu coupé du grand tout ?
Avant de pleurer, j'ai ri.
De bon coeur.
Enfin j'ai pouffé.
Je rigole par le nez. Je lâche des petits souffles comme une souris.
Je n'ose pas rire bien fort car ce serait comme laisser parler mon corps.
Il y a comme une explosion de sens et des décalages entre ce que je comprends et ce que je vois.
C'est ça qui déclenche mon rire.
Ayant touchant le sol sans reprendre pied, Sara rampe vers nous. C'est drôle et flippant. Elle est un reptile bizarre, un peu Iggy Pop, une gargouille avec une drôle de voix qui s'apprête à franchir le quatrième mur en se traînant vers le premier rang.
Comment peut-on à la fois être une femme trahie et muselée qui chute et le parti politique écolo ? Iggy pop et une sorte de Queen Macron tenue en gala ? Comment peut-on être Iggy Pop en train de tomber dans l'escalier et le parti Ecolo ? Et soi-même ?
Iggy Brigitte Ecolo Groen et moi et Sarah Selma et moi et possiblement quelques autres moi dans la salle ...nous tombons ensemble...
ridiculement
avec CUL' dedans.
C'est Groen ecolo qui perd encore en moi les élections.
C'est moi en queen qui roule mal barrée.
Je ris de moi en queen drapeau.
C'est une multitude de moi qui m'habitent qui me sautent à la figure, déformés et révélés et ces multiples moi chutent en même temps.
Je pleure. Je ris. Je me sens acceptée, quelque part. Quelque part dans le grand tout. Je me sens acceptée et je m'accepte en riant.
Merci, j'en avais besoin.
Ce n'est pas un hasard si j'ai pleuré. C'est quelque chose qu'on m'a fait, c'est quelque chose qui a été donné dans cette expérience et qui m'a permis d'approcher cette tristesse déviée, canalisée, dans le quotidien.
J'ai été mise dans cet état de connexion complexe et profonde avec moi-même et avec un grand tout par une habilité bien singulière. Je pense observer qu'il y a là sur ce plateau une culture de la création coopérative. Je pense que Sara Selma et sa bande en connaissent un rayon (de soleil) en fragilité et soin du spectateur·ice et plus largement, en fragilité et soin du corps collectif.
Arts mineurs et PD
Je m'étonne de ce débat qui parvient à mes oreilles sur la place du cabaret au théâtre aujourd'hui. Comme si le cabaret allait en mourir ou s'en trouver mal. Comme si c'était bizarre, comme si les frontières étaient possibles en art, comme si cabaret et théâtre n'avait pas une vieille histoire commune et des racines emmêlées depuis longtemps.
Les arts dits mineurs se sentent toujours les parents pauvres. Et iels ont bien raison.
Ma carrière dans les arts vivants m'a montré à maintes reprises les hiérarchies tenaces, les inégalités de traitement et j'ai moi-même esquivé quelques humiliations.
Récemment encore, un Bertrand (un Bertrand, dans ce spectacle, c'est un homme cis hétéro) a lancé en public, mis en confiance par le groupe de parole disposé en rond que nous formions à la Bellone, que la critique que je pratique n'est pas vraiment de la critique.
Heureusement, j'étais moi aussi sortie en bande ce jour-là.
Je suis surprise qu'on se demande pourquoi le Cabaret s'invite au théâtre.
Peut-être que le cabaret a aussi envie de travailler dans de bonnes conditions, avec des vrais budgets pour les costumes. Peut-être qu'il en a marre d'être payés en pourboire. Peut-être qu'il est ému par les inégalités sociales et qu'il est gilléjauné. Peut-être qu'il est le fantôme de l'opéra ?
Peut-être qu'il a envie d'exister dans les lieux publics qui défendent le théâtre pour tous.tes ?
Peut-être qu'il souhaite émanciper le spectateur ? Soigner le corps collectif malade ? Composer les mondes ?
Peut-être qu'après des centaines de représentations dans les festivals de théâtre populaire de rue Sara veut se lancer un défi et vérifier que son verbe vibrionnant et audacieux touche aussi indoor ? Elle s'est faite jeter au carnaval de la Louvière avec sa consoeurie de connasses de gilettes de Binche soupçonnée de venir wokiser l'arrière-pays déguisée en grosses bonnes femmes en mouse d'inspiration saucisse... Elle s'est parfois faite jeter de l'underground militant parce qu'elle fait des blagues sur nos féminismes… On peut imaginer qu'elle s'attend au pire avec le milieu du théâtre francophone qui n'a quasi dit mot au moment du scandale des gros corps moelleux de madames corsetées lingerie à la Gilles... signe s'il en faut qu'il se tienne tout de même encore à distance des arts de rue, des arts populaires, de l'art dans l'espace public, des arts mineurs, des formes hybrides et monstrueuses... la main molle dans la pince dure du politique qui détient l'argent et n'aime pas les remous ?
Je ne dis jamais arts mineurs moi.
J'entends que Sarah le dit, comme elle dit PD.
Pour désigner le système d'assignation, de domination, de normalisation.
Heureusement, dans L'art à l'état vif, Richard Shusterman, un philosophe américain pragmatiste, s'attèle à définir une nouvelle philosophie de l'art, on dit esthétique dans le jargon... qui ne crée plus de distinction de valeurs entre les différentes formes d'art et entre l'art et la vie, entendu que la vie quotidienne est traversée d'affects esthétiques.
L'expérience de l'art engage l'individu dans son entièreté, superposant sens et raison, corps et logique.
Le monologue de Kimi Amen rend très subtilement compte de cette complexité, versatilité et transformation permanente de la fonction artistique dans la société.
Elle remet aussi très subtilement en question les hiérarchies de valeurs qui s'y rapportent.
Dans son monologue, Kimi donne des ateliers maquillages à des enfants, se produit au cabaret, anime des bingos dans les Home. Ce récit dévoile peut-être la précarité de l'artiste. J'entends plutôt là une affirmation joyeuse de la variété infinie des espaces et des situations dans lesquels l'art peut se déployer, dans l'espace public et dans la vie.
In fine, j'y vois un lien avec l'esthétique démocratique de Shusterman qui défait une à une toutes les prétentions des cultures savantes à être les plus légitimes. Kimi affirme avec force et douceur l'entière légitimité du cabaret à pénétrer le théâtre qui devient un espace public d'arrière-garde en retard sur les homes et les goûters d'anniversaire en matière de liberté créatrice quand il crée des catégories.
Elle dit « je fais du théâtre et de l'action culturelle » et grâce à elle, enfin, l'action culturelle sonne ultra sexy, autant sexy qu'elle l'est. Autant sexy qu'un effeuillage.
Oui, dans l'action culturelle et les projets de territoire on est fragile, à poil et sexy.
D'ailleurs, son surgissement au plateau me procure des frissons. J'y vois une façon inédite de faire de la politique et de l'écologie.
La performance politicienne contemporaine tend à effacer les vulnérabilités et les multitudes chez ses acteurs.ices. Elle polarise parce qu'on ne sent pas être une partie possible de l'autre.
Quand Kimi arrive sur scène elle est pleine de personnes à la fois. Elle aussi. Comme Sara, comme Olga, comme Baxter, les autres artistes du spectacle.
S'adonner à une possession furtive, volontaire, désirée et curative... accueillir la complexité, les paradoxes et revenir à l'endroit de notre monstruosité autant que de notre beauté « sur/naturelle » ?
Kimi surgit dans des bottes couleurs chair qui prennent même ses cuisses. Avec Sara qui s'est entièrement défaite de sa robe et qui ressemble maintenant à une plante clown carnivore (et qui prend et donne maintenant l'amour avec les dents) iels forment une équipe curieuse ultra feuilletée de multitudes pailletées comme dans les mangas que je regardais petite et qui comprenaient de nombreuses scènes de transformation.
Kimi murmure une chanson que le public finit par reconnaître et chanter fragilement.
C'est beau, je trouve. C'est Mylène Farmer.
C'est très beau de chanter avec elle et à sa place depuis notre place de spectateur·ice.
Je me dis que je vis un moment très très rare de ma vie de spectatrice de théâtre. Aussi, je ressens à nouveau comme Sara et son crew ont la culture de la coopération et de la création collective. Iels savent nous faire de la place.
Par ce chant aphone, elle permet à nos langues de se délier.
Nous retrouvons la malléabilité de la langue orale au point de chanter doucement...
La malléabilité de la langue, c'est exactement ce que la capitalisme et l'impérialisme ont effacé.
Mon coeur, mes tripes et mon cerveau sont alignés.
Je m'empresse de sur-interprétrer... je décide de ressentir le frisson des formes de démocratie qui n'ont pas encore été inventées. Je rêve de politicien·nes qui se taisent ou parlent du bout des lèvres. Je rêve d'une démocratie où on lirait sur les lèvres les unes des unes. Je pense à cette phrase de Jean-Marie Gleize, dans le recueil Tarnac : La révolution sera une question musicale. La révolution s'attrapera comme une chanson contagieuse.
Changeons de sujet, parlons des électrons
J'ai récemment lu l'article d'un·e physicien·ne quantique qui traite du même sujet que le spectacle : en finir avec soi-même. C'est un article que j'ai trouvé dans la revue Multitudes. C'est une tentative de mobilisation des dernières découvertes scientifiques liées à la matière pour questionner nos relations à l'identité et aux autres.
Ça commence comme ça. Je recopie, j'aime bien, je partage.
Comme les éclairs, cet article est une exploration des atmosphères chargées. C’est un article expérimental qui parle de la nature expérimentale de la matière, de sa propension à tester tous les chemins in/imaginables, toutes les im/possibilités.
Cet article, c'est le mien mais c'est aussi un article de Karen. Karen Barad.
Karen a fait péter le fourreau depuis la théorie des champs et la physique quantique.
Iel a réussi à prouver le caractère intrinsèquement queer de la matière.
En résumé, iel dit qu'il est complètement dans la nature de la nature de se dénaturer.
Mieux, la matière n'est qu'un vaste champ de désir et de responsabilités où chaque particule s'agrège et se désagrège au contact des autres et d'elle-même touchée par les autres.
Il est dans l'identité de la nature de ne pas avoir d'identité.
La matière ce sont des auto-expérimentations/auto-recréations, mais pas sur un mode auto-poïétique : la matière est bien plutôt un défaire radical du « soi », un défaire radical de l’individualisme. Toujours vivante, jamais identique à elle-même, elle est indénombrablement multiple, versatile. La matière n’est pas simplement un être, mais son dé/faire incessant. La nature est une trans*matérialité/trans-matière-réalité agentielle en re(con)figuration permanente, où trans n’indique pas un changement dans le temps, changement qui irait de ceci à cela, mais un défaire du « ceci » et un défaire du « cela », une reconfiguration permanente de l’espacetempsmatérialisation qui suit les lignes d’un remaniement itératif du passé, du présent et du futur, constitutif du jeu de l’indétermination temps-être2.
Sara, Selma, Dolorès, je tiens là la preuve scientifique et irréfutable que tu as raison quand tu paries que rire est une voie éthique pour en finir avec soi-même. Le rire est un instant magique qui nous rapproche de cet état d'impermanence ou de multipotentialité du moi électron qui se recompose au contact de l'autre.
A l'échelle des électrons libres, le soi-même n'existe pas.
Au moment où je tapote, il s'est déjà auto-dissous dans une nouvelle config.… le petit stremon.
C'est pour cela que je ris et pleure en même temps d'être Iggy, Mathilde, Toi, Cocue cosmique, tas de satin qui se vautre en même temps et tant et tant d'autres strates de moi et autrui emmêlées.
Oui, autrui est contenu dans ce soi ultra flex, ultra meuble, ultra lava lampe.
Et ça aussi, Sara Karen Selma Bahktine Dolorès Goldoni Bigard de Bingen l'a pressenti, quand... "toute seule" sous l'escalier, dans la scène épilogue, elle se démaquille en un rituel adorciste de plus.
Je dis "toute seule" mais ça ne veut rien dire ici tant nous sommes invités.ées et tant les présences et les identités sont complexes.
Au moment de l'épilogue, Sara ressemble en personne trait pour trait à Rabelais se reconfigurant en Juliette Binoche se reconfigurant en Pipo se reconfigurant en Vandana Shiva... alors qu'elle nous partage son idée d'un rire qui nous permet de nous rendre plus perméable, poreux à l'autre.
Quand Sarah rit et nous faire rire en répétant la déclaration d'Adèle Haenel à Cannes :
On se lève et on se casse...
Elle rit d'Adèle qui est maintenant une partie d'elle et une partie de nous.
Rire c'est rire de la part de l'autre en nous.
C'est se serrer les coudes dans l'humiliation.
C'est oser une intimité et une confiance.
Comme l'électron, nous nous autotouchons et nous nous dissolvons nous-même par le rire et touchant l'autre en nous, nous touchons notre altérité et nous devenons un peu l'autre contenant tous les autres.
C'est cosmique.
Mais quand c'est Karen qui le dit c'est carrément hot.
Le moindre morceau de matière est constitutivement répons(h)abilité ; le moindre morceau de matière est constitué comme responsable d’un autre, comme en contact avec l’autre. Dans la matière, il y a matière à intimité, une intimité inopportune et inquiétante.
J'achèverai cette tentative de collection d'arguments massues en ramenant Bahktine et Rabelais dans la page.
Figurez-vous que je suis tombée sur un article de Pascal Houba, datant de 2007, à propos de La chambre d'Isabella de Jan Lauwers, Needcompany... vers une éthique du rire à l'époque de sa reproduction industrielle. Bon déjà je me suis dit qu'il faisait carrément de la critiqueer, de la critique située et libre dans sa forme... au sein de la revue opinément nommée Multitudes...
Houba s'interroge sur l'éthique du rire, là où Sara Selma présente le rire comme une éthique en soi, un rapport au monde. Il cite Mikhail Bahktine qui a écrit un bouquin ultra célèbre dans le champ académique sur le rire et la place populaire chez Rabelais, à la fin du Moyen-âge...
Il est aussi question de matière transformatrice et du dépassement de soi.
Lisez-moi ça. Faites-le vraiment. Voi-làààà
« La spécificité de Rabelais est qu’il a saisi l’importance, au moment où le livre imprimé se répand grâce à la possibilité nouvelle de la reproductibilité technique de l’écriture, de transmettre tout un savoir populaire traditionnel, d’essence orale, irréductible à la théologie chrétienne. Dans son œuvre, Rabelais réussit comme nul autre à inscrire la malléabilité de l’oral dans l’écrit en inventant, plus qu’un style, presque une langue qui lui est propre. Son écriture est la traduction en acte de la conception populaire du monde : « Pour lui, le corps est la forme la plus parfaite de l’organisation de la matière, partant, la clé donnant accès à toute la matière. (…) dans le corps humain, la matière devient créatrice, productrice, appelée à vaincre tout le cosmos, à organiser toute la matière cosmique ; dans l’homme, la matière prend un caractère historique. »
La conception, propre à la Renaissance, de la nature et de l’homme en tant que réciprocité du microcosme et du macrocosme, suppose de rester en empathie avec la cible de la moquerie. En effet, « dans la conception grotesque du corps, est né et a pris forme un nouveau sentiment historique, concret et réaliste, qui n’est pas l’idée abstraite des temps futurs, mais la sensation vivante qu’a chaque être humain de faire partie du peuple immortel, créateur de l’histoire ».
Pascal Houba écrit à son tour :
« Cette conception co(s)mique du monde implique que la critique de l’autre sous la forme de la satire puisse se retourner en autodérision, en auto-ironie. Même lorsque le rire populaire vise les tenants du pouvoir, la moquerie prend la forme d’un rabaissement carnavalesque, temporaire et ambivalent.
De cette manière, l’irrévérence envers la hiérarchie (visant le rôle social), qui traduit un sentiment très vif de constituer un groupe à part, va de pair avec le respect pour la personne humaine. Dans le monde populaire, lorsque l’on rit de l’autre, on rit toujours également de cet aspect de l’autre présent chez soi-même, alors qu’au contraire, « le sérieux et la peur unilatéraux sont les sentiments d’une partie qui se sent coupée du tout » .
Cet aspect de l'autre présent à soi-même... cette éthique du rire dans le monde populaire, n'est-ce pas ultra baradien, quantique et Sara Selma Dolorèssien? N'est-ce pas exactement de cela qu'il s'agit aussi quand on parle d'en finir avec soi-même en riant ?
En finir avec soi-même, pour se rapprocher des autres... pour en finir avec les luttes intestines qui entravent les avancées sociales collectives... pour s'auto-accoucher en plein déni de grossesse de soi.
En finir avec soi-même... afin que s 'affirme la possibilité des alliances politiques monstrueuses, mondiales et de proximité.
Pour créer des brèches. Pour la plasticité du réel. Pour l'extravagance.
On a vu ou verra des anarchistes s'allier avec des mémés catholiques. Iels ont même réussi ou réussiront à empêcher des avions de voler. Iels ont beaucoup beaucoup beaucoup ri (et pleuré) et se sont sûrement pris le chou très fort.
Il y aura : des mangounes shorbas, des choucroutes à la sauce verte et des théâtres ouverts où chacun pourra, s'iels veut, s'amuser à faire la lumière.
https://shs.cairn.info/revue-multitudes-2007-3-page-187?lang=fr
Anna Czapski