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On va bâtir une île et élever des palmiers

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On va bâtir une île et élever des palmiersAxel Cornil &
Lorette Moreau

nov. 21





Salve complète à télécharger






Explorateur.ice.s : Axel Cornil et Lorette Moreau
Vents et Marées : Lorette Moreau
Force gravitationnelle : Axel Cornil
Brise d’été : Ines Isimbi
Faune : Consolate Sipérius et Renaud Van Camp
Flore : Floriane Jan
Cadran solaire : Isabelle Sidaine
Ensoleillement : Laurence Magnée
Clameur et chuchotements : Anne Lepère
Eruption entropique : Charlotte Lippinois
Carte aux trésors : Rose Alenne
Une production au sein de l’archipel de projets portés par L’amicale en coproduction avec le Théâtre de la Vie.
Soutien et résidence : la Maison Folie (Manège.Mons), la Fabrique de Théâtre, le Centre des Arts Scéniques, le Festival Courants d’air, le Théâtre Marni, Effervescences (Clermont-Ferrand), le Théâtre de Poche (Hédé-Bazouges), le Bamp Festival Lookin’out et le BOCAL.
Avec la complicité de : Patrick Corillon, Dominique Roodthooft, Antoinette Brouyaux, Mathis Bois, Salomé Richard, Antoine Defoort, Céline Estenne et Julien Fournet.
Avec l’aide de la Fédération Wallonie-Bruxelles / Service du Théâtre, de la COCOF, de la SACD et de la Fondation Mycelium.

Photos : © Alice Piemme / AML















Vue et admirée dans son spectacle choral sur la Vulve ({:}), Lorette intrigue par ses recherches et essais de formats plus circulaires, son dégoût de l'autoritarisme et sa soif de collectif.

La Salve avait hâte de visiter son travail.

Alice Piemme/AML

Ça commence comme ça : deux facilitateur•ice•s accueillent le public sur une île déserte. L’île offre à celles et ceux qui la peuplent une vie harmonieuse grâce à l’empathie. À travers une fiction qui balance entre le Club Med et C’est pas sorcier, les membres de la nouvelle communauté s’emparent des outils d’un meilleur vivre ensemble et d’une gestion collective des ressources naturelles. Tout bascule lorsque les deux hôtes de l’île se disputent sur la manière de gérer le groupe. L’ampleur du conflit détourne leur attention des activités inquiétantes d’un nouveau venu.

S’inspirant de lectures sur l’empathie et l’effondrement, Lorette Moreau et Axel Cornil passent de l’exposition théorique à la fiction poétique. Collaboration réunissant deux univers contrastés, On va bâtir une île et élever des palmiers nous invite à explorer le potentiel ludique d’un monde à reconstruire.

Alice Piemme/AML Alice Piemme/AML

Le monde sera peut-être sauvé

Dans la cour de mon école aussi, il y avait un arbre. Dans cette cour aussi, ça aurait pu dégénérer, quand un enfant se retrouvait isolé. Parfois on le frappait. Heureusement l’humain pleure comme un nourrisson, alors ça ne fait pas plaisir.

Sur le plateau du théâtre, pour dire qu’il y a un arbre, à la place du cocotier unique de l’île, il est écrit ‘cocotier’ avec des lettres de bois découpées. Alors l’espace a l’air d’une carte d’exploration sur laquelle on peut tout écrire, et on disait que ça existait.

À côté du cocotier, l’homme se tient droit mais il est indécis. Il sait que beaucoup de chefs ont déjà tué. Il se demande s’il arrivera à ne pas manger une deuxième banane, et s’il y en aura assez. La femme aussi se tient droite, pour avoir confiance dans un futur horizontal, et ne pas crier.

Mais ne faut-il pas crier, pour arrêter le massacre des fleurs ? Cinquante pour cent sont en danger de disparition. C’est qu’il n’y a plus d’insectes, pour polliniser.

Sommes-nous des insectes en voie de disparition ? Mon grand-père pensait plutôt mourir à la guerre. Après, ses dents sont tombées, c’était le scorbut, maladie contractée en camp de travail, en Sibérie orientale. Quelles odeurs ont eu ces quatre automnes ? Il a eu une médaille et vingt ans après, il a pu s’acheter une voiture. Il disait à ma grand-mère qu’il fallait dépenser parce que c’était généreux. On dit qu’il a vécu les trente glorieuses. L’horloge sonnait dans le couloir, j’y pense dans le théâtre.

À côté du cocotier, sur le plateau, les deux comédiens parlent fort comme des comédiens adultes, quand ils veulent paraître un rien bêtes. Je les vois avec un masque sur la bouche mais j’avoue, je l’enlève. Dehors c’est l’automne dans cette contrée trop froide. Je ne sais pas s’il faudrait se coller torses nus pour avoir chaud, ou au contraire, se laisser tranquille.

Un des deux comédiens me tend une lampe de poche. On doit descendre sur le plateau chercher des mots comme dans une chasse au trésor, à l’école, quand on n’a pas choisi ses compagnons. On fabrique une phrase.

Même si les troncs ont une hauteur différente, ce serait bien qu’aucune tête ne dépasse.

C’est une morale. Si on peut se concerter, on sera plus horizontaux. Alors on sera plus consentimentaux. Alors, le monde sera peut-être sauvé.

Mais le monde ne sera peut-être pas sauvé. Le monde est tsunamiste, c’est-à-dire qu’une vague d’eau, au-dessus de nos têtes, peut nous tomber dessus comme un nuage de bois. Comme dans la pièce de théâtre, une espèce d’horizon découpé en lettres, à un moment descendait. C’était une petite prouesse distrayante. Un horizon descendait. C’est sur cet horizon qu’on rassemblait la phrase. Sur une barre de métal. Un essai.

Le soleil qui nous attaque et paraît plus proche, dans les pays froids, fait bon à la peau, quand même.

Inspiré de la pièce On va bâtir une île et élever des palmiers, d'Axel Cornil et Lorette Moreau.

Jérôme Poloczek

Dans l'escape room
avec un monstre et un bigorneau

extrait de mon speech lors de la veillée-bilan publicmoni, en présence des ancêtres et des coquillages.

J'ai été RAPARTRIEE sur une île du... PAFICIK

En fait, il s'agissait d'une « représentation » c'est à dire que plusieurs personnes étaient payées pour jouer un TXTE et le mettre en CSENE en face d'une assemblée de spectateurs.

Le TXTE était inspiré d'une réalité historique MABACRE.

OUPSI : le début du txte est altéré, l'excuse. Accrochez s'il vous plaît.

Dans les années'20, les espèces animales se sont mises à disparaître en masse et pas mal de côtes ont été coulées DEBRODEES. Les pénuries alimentaires, les famines et le reloading des conditions matérielles ont touché TIOUTE la planète. TIOUT à coup, alors qu'habituellement les pays du Sud étaient en première ligne de ces catastrophes, MIEME les puissances coloniales qui DISTRIBUTAIENT toute une série d'artefacts, objets, machines, prothèses, présentés comme utiles et OK, ont été menacées de disparition.

Des humains ont alors tenté le TIOUT pour le TIOUT.

Désemparés, ils ont appelés à se rapprocher de la nature et des animaux, sans trop savoir comment s'y prendre : en faisant pousser des vergers, en se totémisant, en s'adonnant à des formes de méditations et de pratiques corporelles venues du Levant ou du Ponant, en se faisant des tattoo. Ils se sont aussi tournés vers de nouvelles formes de communication non violente et des méthodes alternatives de prises de décisions collectives.

Il fallait, sans plus attendre, devenir autre pour sauver ce qui pouvait l'être encore ou préparer une renaissance dans le meilleur des cas. Empathie, frugalité et humilité étaient les nouveaux mantras bien difficiles à incarner tant l'exaltation des egos et de leurs puissances avait mené les affaires jusque là.

C'est dans ce contexte troublé, anxieux mais en partie responsable que la pièce On bâtira une île et élèvera des palmiers a été écrite par Axel Cornil et Lorette Moreau puis mise en scène par Moreau.

Moreau, enfant de la balle (père metteur en scène et mère militante écoféministe) étudiante puis formatrice brillante dans un « conservatoire » avait décidé de se saisir des outils de sa corporation pour enfoncer le clou. Elle proposait un bain spirituel et visuel dans lequel s'immerger pour en ressortir plus fort.e, vaillant.e et prêt.e pour la transformation tout en raillant la texture et les grosses coutures de cette période délicate. En quelques sortes, Moreau avait pris le parti d'infliger au spectateur un pre-enactment de sa disparition du globe en ouvrant suffisamment de lignes de fuites, d'horizon sous une forme onirique et ironique-tendre- amère pour ne pas le traumatiser voir pour le soulager un peu sans pour autant le déresponsabiliser ou le larguer dans sa poisse.

C'est un bigorneau qui m'a parlé de cette pièce et qui possédait même une petite documentation à son sujet, sur laquelle j'ai pu m'appuyer pour rédiger l'ordre de mission qui m'a permis cette escapade scientifique dans le temps.

Il y a en effet pas mal d'espèces qui témoignent de connexions persistantes humains-animaux même pendant l'ère de technèsacralisation traumagaïaque et le bigorneau interrogé m'a cité cette pièce de théâtre comme un exemple célèbre que les crustacés célèbrent.

Comme exprimé dans l'ordre de mission : je suis partie pour rendre compte des formes de cette connexion, fut-elle empathique, afin d'oeuvrer à la généalogie de nos « Muttes » comme on dit aujourd'hui, direction un théâtre bien nommé le théâtre de la vie, à Bruxelles ante islandis.

J'ai donc été accueillie par A et B, deux personnages de théâtre en T shirts et pieds nus qui semblaient bien se connaître et qui avait pris l'administration de l'île représentée en main.

Moreau avait en effet choisi pour sa scéno de mixer des clichés ou images archétypiques de l'insularité avec ceux de la salle de réunion des années 20. J'ai noté dans mon carnet : esthétique salle de réunion ou espace de coworking « minimal air designé ». Soit, un peu de bois et de pyrogravure rappelant le bio-postit de nos grands-mères, quelques noix de coco, du chanvre et un coquillage au plateau.

En effet, en 2020, la réunion était partout et son « monde » s'était infiltré jusque dans les plis les plus intimes des jours. Même les appartements et les maisons de campagne ressemblaient à des salles de réunions. Néanmoins, la nature se défendant se frayait un chemin revitalisant à ces endroits. Plantes vertes, cailloux, bois flottés, simples racines décoratives et tapis de cordes indiquaient qu'une partie de l'humanité appelait de ses vœux à de nouvelles alliances avec elle, dans l'humilité certes un peu punitive de la salle de réunion.

En 2020, dans la salle de réunion, on pouvait aussi agir à son échelle et contribuer à neutraliser le plus rapidement possible les effets relationnels toxiques de l'extractivisme fondé sur le machisme et le racisme. On pouvait avoir recours si on était changiste, éveillés et de bonne volonté à des techniques qui garantissaient sous certaines conditions d'étouffer la machine à dominer et d'optimiser l'intelligence et le bien être du groupe.

Lorette Morette était praticienne dans ce domaine et elle faisait partie en '20 des activistes qui poussaient le secteur culturel et artistique à se métamorphoser du dedans avec ces tips et bons procédés. On peut même dire qu'elle était à fond : déterminée, patiente et miséricordieuse.

Or, dans ce spectacle, Moreau semble questionner ces armes. Ohh, on sent bien qu'elle les connaît bien et qu'elle les chérie, qu'elle en a poli la crosse au mohair, qu'elle sait que c'est marche avec ou crève mais on dirait aussi qu'elle a comme un besoin de les cabosser, comme une envie de péter les plombs. Il est aisé d'imaginer que son partenaire d'écriture Cornil, moins investi sur le front des méthodes et fair practicises que Moreau, a filé un sacré coup de main. Anyway, pour fracturer la langue de bois, on ne saura qui des deux a tendu la masse à l'autre. Le jargon claque au fouet dans l'espace théâtral, ce qui garantit un effet comique et cathartique.

Systématisées sur l'île, finitude des ressources et risque de Tsunami oblige, les méthodes agissent tout d'abord sur la langue et semblent effacer les expressions négatives. On baigne alors dans un climat réconfortant de courtoisie et de care au soleil, magnifiquement servi par un Renaud Van Camp aérien (B) et une Consolate Sipérius (A) tellurique. Les méthodes, tremplin pour l'amour et l'efficacité gestionnaire des îles, frisent carrément le jeux érotique. Mais diverses facteurs déstabilisants gangrènent l'harmonie . Un certain Philippe gloutonne toutes les rations-coco, B perd le sens des responsabilités et crée fissa un boys club qui se détache du réel pour lui et Philippe. B se réfugie aussi dans un dictionnaire de synonymes et s'éloigne de A, comme si la célébration de la variété lexicale le mettait naturellement à distance des jeux et pratiques socio-survivalistes dont il était le défenseur zélé.

Cette langue bizarre de l'amour et de la réunion réunies est aussi montrée comme une langue-prison corset, qui ne permet pas du tout par exemple de communiquer ni avec les palmiers, ni avec les noix de coco, ni avec l'atoll, ni même avec l'ancêtre de Bi le Bigorneau. Pas de chant, pas de polyphonie même s'il y a cette fulgurance de faire parler un estomac. Et ce jargon utilisé pour se réformer, être plus empathique, prendre de meilleures décisions n'ouvre pas assez la porte au langage corporel, au délire, à l'improvisation, à la fête comme disciplines pour naviguer ensemble et tout ce qui est arrivé en 2030.

Il y a une inertie, une impasse que Lorette pointe, sous l'angle de l'entropie-monstre, un épuisement des ressources du sujet, de son énergie vitale quand s'installe le fétichisme ou la sacralisation des méthodes, à l'instar de la sacralisation de la technique dans le capitalisme et le communisme, bien décrite par Ellul.

Cette impasse qui saisit la communauté insulaire coworkeuse métaphore de la société 2020 c'est précisément entre autres, l'entre soi et une forme de tyrannie du rationnel, que nous avons su dépasser à force d'essayer.

Entre soi humains et humains, entre soi masculiniste de Philippe et B. L'entre soi... impasse à laquelle le théâtre des années '20 était parfois lui même confronté, quand il était en quelque sorte trop fidèle et loyal à lui même, quand il devenait un artisanat de tradition au lieu d'une expérience.

Et je dois dire que malgré toute cette enclosure, cette fermentation sur soi, j'ai été touchée par le travail de Cornil et Moreau.

Car, fort joyeusement, sur les dernières 20 minutes du show, il se passe des choses curieuses.

Tout d'abord, le fameux preenactment symbolique et poétique de la fin de règne a lieu : nous devenons marée. Une voix nous parle et nous explique cela. Ce qui est, sommes toutes, une intuition posthumaine hyper juste quand on pense aux grandes muttes qui ont suivi 2020. Une tempête balaie la situation désespérée du début. Nous ne sommes plus mais nous ne nous sommes pas simplement noyés non plus. Nous sommes devenus liquides, fluides. Nous sommes en métamorphose. Comme l'écrit Tobie Nathan à propos de l'état amoureux, seul rite de possession encore en cours dans les années '20 en Occident, quand on tombe amoureux, on espère que l'on va se transformer. Alors on devient liquide. Dans le cocon, la chenille n'est pas déjà un papillon. C'est un noyau liquide fluorescent qui attend sa mutte.

Dans les années '20, alors même que la submersion des côtes était annoncée, les humains continuaient à se rapprocher toujours plus de la mer et de l'océan. Le corps humain est composé d'eau salé, il y a dans le corps humain un peu d'océan, ce qui faisait écrire à bien des géographes que ce mouvement dangereux de l'humain vers la mer ressemblait en fête à un rendez vous de l'humain avec lui même.

Nos grandes muttes l'ont montré. Ce grand rendez-vous ne s'est pas contenté de prendre la forme de la noyade ou du sentiment océanique mais plutôt celle de la reconnaissance de nos « ancestralités communes » avec les espèces autres et celle de l'intensification de notre dialogue avec elles, impliquant nos corps entiers,de chair, d'os et d'eau,capables de craquer, de glousser, de chanter, de grimper et de ramper, comme la marée.

Soit, prescience magicienne de Cornil et Moreau, nous sommes devenus marée et la langue figée de l'intelligence collective (étape fondamentale mais primaire) s'est éteinte en vue son évolution somatique.

De même, s'est débridé avec le temps, en suivant le même mouvement, le théâtre lui même. S'est débridée une certaine misère créative bourgeoise de l'expérience théâtrale hégémonique, vécue comme un musellement des corps et des expressions du spectateurs dans ses espace concentrés indoor pas si polyvalent, imposant le silence et la position assise, dans une étanchéité entretenue avec des formes plus populaires d'expression allant du bal folk au concert de rock en passant par la rave party, la veille du feu et l'escape room. S'est régénérée dégénérée une certaine forme de théâtre qui n'était plus qu'une obséquieuse re-enactment d'elle-même.

Et c'est sur cette voie que semble nous entraîner Moreau-metteuse en scène en 2020, dans la toute dernière partie du spectacle.

Exit la langue bien huilée du très bon mécano Cornil, exit le théâtre bien appris à l'école. Nous sommes appelés à descendre sur scène. Bon, la manière d'y arriver demeure un peu figée mais ce qui se passe est fragile et délicat. On y va et tout à coup brûle le piment de l'auto organisation. On quitte le joli plateau pink power et air design pour fouler le tapis noir sans artifice. Pendant que les comédiens, noyés ? dansent avec le monstre de l'Entropie, s'organise une partie de scrabble déluré, dans une ambiance décontractée et sur excitée à la fois.

Avec une ironie tendre, Moreau Cornil nous appellent à rire de nos débuts en tant que changistes -apprentis, interspecies empathes et à la saine bousculade.

Il y a dans les Palmiers une Face A et puis on secoue le cocotier, et on casse la noix. La représentation s'arrête et le spectacle se déplace, devient une action collective maladroite : la Face B, échelle 1.1, un théâtre du sujet comme il existe une pédagogie du sujet où il n'est plus question de maîtres, d'élèves mais d'une simple assemblée de moi aux trajectoires uniques.

Nous mêmes, presque à poil comme on dit, pas jolis jolis. Un groupe en désordre traversé de désirs et de fragilité, un peu penauds, ballants, mal éclairés et mal dégourdis après une heure de show fesses posées. Nous quittons un régime de puissance et de maîtrise, celui du spectacle ficelé, pour un état de fluidité, d'incertitudes et de nouveaux frissons. Nous quittons le théâtre de l'ennui pour un spectacle vivant de nouvelles aventures, rejoignant les formes expérimentales de l'art entre partage des intimités et partage de l'espace public.

Un autre spectacle commence quand nous sommes appelés dans la fosse, peut être le prochain spectacle de Lorette ?

Lettre de Bi le birgorneau from 2077.

Chère Lorette, nous allons bien.

Il y a maintenant plusieurs milliers d'autres animaux qui parlent notre langue et nous avons de chouettes projets culinaires, cosmétiques et foireux aussi pour certains. Quand nous aurons trouvé comment faire, nous te ferons voyager jusqu'ici pour organiser une grande tournée de ta pièce en 2077. Cette pauvre langue qui est tienne, plus personne ne la parle plus à part les historiens.iennes comme ciel que nous t'avons envoyé dans la salle.

Maintenant nous parlons corps, cheveux, écailles et toutes sortes de cris.

Nous parlons baves, empreintes et oursins.

Nous avons des interprètes qui pourront t'aider à adapter la pièce en Somavoca du Pacifique 12.

Si tu veux, on produit aussi le scrabble anar-escape

Keep rock n'rolling the world Lorette and Axel. Merci d'avoir d'avoir tellement pensé à nous, aux enfants qui allaient continuer de naître, à nos corps qui réclamaient le plein air et aux coquillages qu'il fallait encore apprendre à connaître.

Ton Bi.

Anna Czapski

Sur l’ile, pas de mots qui fâchent, pas d’éclats. Les deux comédien.ne.s ont les visages doux et ronds. Un monde nouveau, rafraichi par une langue lisse et ouverte. Une humanité sans conflit, où tout est nommé : de A à B, A-B-A-B, tendresse des pierres en carton-pâte. Le béaba, douceur pastel de la lumière, transparence éblouissante du langage. Il sonne un peu creux, mais il marche : sans angle et sans dispute, pas de sentiments violents.

Puis, de frustration en égoïsme, la forme s’en va anéantir le fond :

le cœur et le sang reprennent le dessus, les mots ne parviennent plus à suivre le rythme des battements, la vitesse de la pensée, le souffle court de la colère. Les deux comédien.ne.s ont les visages doux et ronds, mais la vérité monte comme la marée, inéluctable la fille de la lune, elle étouffe et ravage; tout se délite.

Alors on monte sur scène, on cherche les lettres, les mots, tout est mélangé, enfui, perdu. On erre, on se creuse. des O des D des M des I des N. pas de B, juste trois A, rébus collectif, méninges rouillées, on butte, puis enfin la clé : no man is an island.

Nous dépendons les un.e.s des autres et de tous les êtres, de celleux qui nous détruisent et de celleux qui créent l’oxygène et la chance. Les comédien.ne.s aux visages doux et ronds font place à la créature, la bête tendre et inquiétante, qui se dessine à la fois comme notre intérieur invisible (quel est le paysage que vous n’osez voir ?), la toile infinie qui compose, agence et relie (de quoi la pieuvre est-elle le nom ?) et notre futur, point d’interrogation silencieux, qui observe et nous invite.

Caroline Godart

S’agissant de l’île où, spectateurs, nous échouons une fois que la catastrophe a « enfin » eu lieu, pour la fable philosophique qui va suivre, il y aurait à la fois :

- l’assurance que « tout va bien, vous avez énormément de chance, vous êtes au bon endroit (et les personnes qui sont ici sont les bonnes personnes) » ;

- le sentiment pourtant déjà persistant que rien n’ira et que le projet de « bâtir » ladite île est déjà vicié avant d’avoir débuté.

Car :

- l’île à vrai dire est déjà là ;

- on nous y attendait ;

- le programme est déjà fixé, le chemin tracé : Empathie et Entropie seront les deux protocoles qui auront ici cours, les deux divinités locales, les deux personnages de la fable.

Entropie, ou comment l’énergie et la matière sont toujours dépensées, vont toujours dans le même sens, du disponible à l’indisponible, de l’ordonné au désordonné, du consommable au consommé.

Empathie, ou comment les humains trouvent tout de même le moyen de s’allier pour créer de l’ordonné qui dure, qui reste même si on s’en sert : se mettre d’accord, se donner de la règle. Même enfreinte ou trahi, la règle et l’accord se maintiennent. Ils ne s’éteignent pas ; tout au plus, on les remplace. Même le désaccord le plus profond suppose qu’on convienne de s’opposer.

Gestion par consentement, communication non violente, intelligence collective nommeront ce projet d’élever Empathie contre Entropie, le progressisme dans la conservation contre l’effondrement par le « progrès ». Sorte de « néguentropique injonctive », façon radicale de refuser tout ce qui dans la parole fera désordre, gaspillera l’énergie, portera conflit, fera écart, sera gratuit. Sans qu’on s’aperçoive que cette obsession de l’ordre bienveillant comme unique forme de l’habiter est précisément ce qui laissera tout loisir à Entropie, dotée à présent d’un corps et seule désormais à disposer de ce qui ressemble encore à une capacité d’agir, de faire son grand ménage. Et d’infiltrer jusqu’au langage, dont les mots se corroderont d’autant plus vite qu’ils seront progressivement déchargés de leur part de danger, c’est-à-dire d’intention.

Il s’agira donc d’élever des palmiers ou peut-être plutôt d’être, spectateurs, « élevés en palmiers », d’atteindre une sorte de croissance végétale, une immobilité aussi heureuse que celle des arbres, en n’extrayant du sol que le-strict-nécessaire-pour. Pour ? Refaire parc, un « parc humain » ? À propos, les bonnes personnes pour quoi ?

La pièce offre toutefois une dernière « seconde chance ». Une fois l’île ravagée par ses habitants puis par un tsunami somme toute bienvenu, les palmiers que nous avons appris à être sont invités à refaire usage de leurs pieds. À venir reconstituer sur scène la morale de la fable qui les attend sous la forme d’une escape room finale. S’échapper en suivant ensemble le parcours fléché des énigmes à résoudre, jouer dans les ruines des cocotiers aux chiffres et aux lettres, recomposer enfin une intention. « Nul homme n’est une île », nous révèle ainsi le bigorneau seul rescapé de cette dévastation. On aimerait pouvoir, plus souvent et plus tôt, entendre parler les mollusques.

Arnaud Timmermans

C’est une invitation au voyage, comme un renouvellement de vœux entre le théâtre et nous après cette longue séparation. Quel plus beau lieu de retrouvailles que le Théâtre de la Vie quand se retrouver équivaut à fêter celle-ci ?

Consolate Sipérius et Renaud Van Camp semblent avoir été au bout du rêve de certains de nos contemporains: ils sont partis, recréer un autre monde sur une île déserte. Là, ils donnent vie à tous ces mots qui ont plu dans notre vocabulaire: autogestion, bienveillance, écoute active. Ils nous embarquent en utopie jusqu’à ce que celle-ci se décape à mesure de règles, de premières tensions, de gentillesse dont la patine craquelle, de mouton noir. Dans leur Macondo où sans fièvre qui ne soit passée par là, le décor est plein de mots comme des fragments de vers, des carcasses de poèmes jonchent la scène: feu, mer, ciel, soleil, noix de cocos. A mesure que le ton monte, la mer aussi, les monstres guettent comme ceux de l’âme, le ciel couve quelque chose comme les cœurs et les émotions. On leur laisse pourtant toute la place d’exister, on les nomme, les formule, les reformule dans des phrasés mécaniques et comme si elles y étaient un peu à l’étroit, elles explosent dans la marée qui détruit tout. Le Paradis ressemble à un lieu de désintox, de rééducation à l’altruisme et à l’empathie, à une forme de lobotomie. Notre rapport à l’autre est disséqué de façon chirurgicale. D’abord curieux, on s’en amuse, avant de rester perplexes : quel est le message? En pleine pensée, on est invités sur scène, nos compagnons éphémères, sortent de la pénombre des sièges spectateurs et acquièrent une identité par leur visage et par leur voix. Je découvre la singularité de ceux qui comme moi étaient la masse, invités à nous rencontrer sur scène, à chercher et découvrir ensemble une phrase. Alors, organisés en groupes, on mène l’enquête, on devient acteurs nous-mêmes, mais pas comédiens.

La magie du théâtre a toutefois à nouveau opéré, des corps inanimés prennent vie simplement en étant posés à escient quelque part sur une scène, en étant désignés par deux personnages. On les voit, on les sent, on les entend.

Est-ce que ce voyage est une satire de notre temps, de ce politiquement correct plein d’euphémisme, de déconstruction? Une sorte de mise en garde contre la perte de la spontanéité dans nos introspections scrupuleuses, nos inspections de verbe, de postures, d’attitudes?

Au départ, je me sentais sonnée par ce qu’il se passait sous mes yeux, dans le même état presqu’aviné du certains réveils, quand les rêves pèsent encore lourds lors qu’ils nous échappent déjà: je ne savais pas réellement de quoi il s’agissait, où j’avais atterri, ni où on m’embarquait. Ce sentiment est resté assez longtemps, j’ai lutté pour comprendre, analyser, j’étais en alerte. Mais l’objet m’a souvent échappé comme un savon qui glisse des mains. J’ai souri en pensant reconnaître un portrait satirique de la bobosphère et tout ce lexique plein d’euphémismes qu’on y a développé au nom d’une bienveillance de surface. Au fond, cette pièce me semblait interroger cette bienveillance qui se pare de jolis mots mais y perd un peu d’essence et de sincérité. Dans ces codes et ces chartes plein de bonnes intentions, on finit peut-être par en oublier l’altruisme et sa propre humanité...imparfaite. À force de performer l’empathie, on en oublierait la substance-même, on ne se réinterroge plus, ne s’évalue mais on ergote sur des termes sans les faire vivre. Le monde meilleur est une velléité pleine de mots ...et si les mots à force, nous desservaient, nous détournant de l’essentiel: le coeur, assumer aussi sa part sombre, son égoïsme, son potentiel manque d’empathie? Humblement?

Raïssa Alingabo Yowali M'bilo