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Birthday

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BirthdayJulie-Anne Roth

août 22





Auteur et mise en scène : Joe Penhall
Traduction : Julie-Anne Roth et Marie Denarnaud
Mise en scène : Julie-Anne Roth
Scénographie : Olivier Wiame
Son : Maxime Glaude
Costumes : Françoise Van Thienen
Lumières : Jérôme Dejean
Chorégraphie: Vincent Chaillet
Assistante à la mise en scène : Lisa Cogniaux
Interprétation : Eno Krokanjer, Priscilla Adade, Anabel Lopez, Dominique Pattuelli
Une coproduction du Théâtre de Poche, du Théâtre Royal de L’Ancre et de la Coop et Shelterprod. Avec le soutien de Taxshelter.be, ING et du Tax-Shelter du gouvernement fédéral belge

















Debby Termonia

 « Si j’avais su que je ne pourrais pas avoir de péridurale…»

Ed, enceint de 9 mois, vient d’arriver à la maternité. La délivrance est proche. Avec Lisa, sa femme, cadre dans une entreprise et surchargée de travail, ils ont décidé d’inverser les rôles : c’est Ed qui porte l’enfant.
Ed, donc, va connaitre les affres de l’accouchement en attendant sa césarienne. Il est inquiet, grognon, injuste... Et la sage-femme imperturbable et l’obstétricienne, largement débordées par les urgences médicales, ne le rassurent pas beaucoup.

Autant qu’une comédie politique sur l’inversion des genres,  Birthday est une vraie charge contre les préjugés, le racisme et l’hôpital public anglais, déserté, faute de moyens, par le personnel hospitalier.

Birthday, de Joe Penhall a fait un succès remarquable il y a trois saisons au Royal Court à Londres, qui est, décidément, une des grandes sources d’inspiration du Poche.

À rebours

Comment parler d’un spectacle qui ne nous était pas destiné ? Qu’on n’a pas aimé, mais surtout qu’on n’a pas pu aimer ; non parce qu’il est mauvais ou mal écrit, mais parce que ses aspirations ne rejoignent pas les nôtres, parce que le souffle qui l’anime nous est étranger, parce que son humour ne nous touche pas. Il y a là un vrai moment d’altérité radicale, et en soi c’est passionnant : on fait rarement l’expérience directe et viscérale de la démocratie, de ce que ça veut dire de vivre en paix avec des personnes dont les visions et les champs esthétiques sont complètement différents. On y pense parfois, de manière un peu abstraite, on s’inquiète lors des élections de qui sont ces autres qui nous entourent et qui manifestement ne voient pas le monde comme nous le voyons, mais nous en faisons rarement l’épreuve dans notre chair. Se retrouver triste, dépitée dans une salle hilare, c’est comprendre de l’intérieur ce que signifie la multiplicité, et c’est s’inventer une place en son sein. Car j’ai eu le droit de rester, comme j’aurais eu celui de partir : la possibilité pour la spectatrice de ne pas aimer fait partie intégrante de la culture de l’hospitalité au théâtre. Elle est la bienvenue, car elle fait fondamentalement, inaliénablement partie du public : on sait, quand on produit un spectacle, que certain.e.s ne vont pas s’y retrouver, ça fait partie du jeu. Il y a un public implicite, à qui la pièce est adressée, et un public en marge, étranger, qui ne comprendra jamais le cœur du projet. Paradoxalement, son existence peut éveiller un profond sentiment de réconfort, un rappel que l’humanité est plurielle et impossible, et que le monde est infiniment plus complexe que nos esprits ne peuvent le concevoir.

Nous avons donc été, ma compagne et moi, le public non implicite, le public maudit, le public à rebours. Nous avons ri et pleuré, mais toujours aux mauvais moments, comme des enfants qui grognent. Birthday raconte le séjour à l’hôpital d’un couple lambda sur le point d’accoucher, à ceci près que c’est monsieur qui est enceint. Tout est compliqué : l’infirmière est incompétente ou occupée, le médecin est ailleurs, tout traine, et pendant ce temps, le patient n’en peut plus de douleur. La pièce met en exergue le sous-financement des hôpitaux publics et la torture imposée aux mères qui y accouchent. Sauf que bien sûr, c’est un homme qui accouche, car par quel autre tour de passe-passe peut-on convaincre de s’intéresser à la souffrance des femmes ? Il y a là une question qui est au cœur de la pièce, mais qu’elle ne pose pas : pourquoi l’accouchement du personnage de la femme, dont on nous dit qu’il a eu lieu quelques années auparavant, n’a-t-il pas fait l’objet d’un spectacle ? Pourquoi la souffrance des corps féminins et la négligence dont ils font l’objet nous apparaissent-elles comme acceptables, banales, normales ?

Le deuxième angle mort la « réticence queer » concerne l’ensemble des stratégies que met en place le spectacle pour nous rassurer sur le fait que le monde qu’il nous dépeint, bien qu’il penche dangereusement du côté du mélange des genres, est bel et bien hétéro et cis. Par exemple, le personnage masculin, qui occupe la plus féminine des positions, est cerné de toutes parts par des soupçons implicites de transidentité et d’homosexualité, dont il passe beaucoup de temps à se défendre. Sa première arme, c’est le cri : nous sommes face à un homme en colère, et sa voix qui hurle d’un bout à l’autre de la pièce nous rappelle sa virilité. Eddy est peut-être enceint, mais il reste un mec qui se bat. De la même manière, la pièce le fait passer à deux doigts d’un doigté rectal dont il est sauvé in extremis par une opération chirurgicale. La conclusion est claire : mieux vaut se faire charcuter que sodomiser. Et puis il y a cette réplique, qui plus que toute autre frappe et consterne :

« J’ai des seins comme des pis de vache, s’ils continuent à me donner des hormones, je vais me transformer en travelo ». Je m’étais demandé jusque là si je ne m’égarais pas en voyant des signes de transphobie implicite, mais c’est la pièce elle-même qui m’a donné la réponse. Comment est-il possible, quand on sait les violences abjectes auxquelles sont soumises quotidiennement les personnes trans, de porter ce genre de discours ?

Le spectacle se termine, sans surprise, par le triomphe de la domesticité hétérosexuelle la plus normative et la plus attendue qu’il soit : il et elle ont vécu une expérience déroutante, se sont mis en danger, ont flirté avec le queer, l’obscur, le gender-fucked, mais tout est rentré dans l’ordre : l’enfant est là, l’amour entre un homme et une femme aussi, on peut rentrer à la maison. Nous sommes exaspérées. Mais en sortant, nous croisons Anna Czapski et Arnaud Timmermans, mes complices de la Salve, qui tou.te.s deux ont vécu des accouchements. Surprise : la pièce leur a parlé, iels ont vu un spectacle sur des souffrances dont iels ont réellement fait l’expérience et sont soulagé.e.s que le manque d’argent des services de naissance trouve enfin un espace d’expression publique. Délices du multiple, joie du désaccord : la démocratie

 

Caroline Godard

fleuves

et il avait commencé par essayer de défendre malgré tout le spectacle devant l'effarement de ses amies lesbiennes, s'appuyant sur la remarque qu'il avait échangée avec Anna après les applaudissements : on s'y reconnait quand même beaucoup hein, quand on est passé par là, puis parlant d'humour anglais, de théâtre de genre, de culture du texte et de la provoc, de la réponse si vite formulée par tous les hommes autour de lui à qui cette question avait été un jour posée : si c'était possible, tu le ferais toi, d'enfanter ? réponse trop vite formulée et jamais vraiment réfléchie

et oui, dans son style c'était plutôt bien écrit, du théâtre de dialogues, efficace et rythmé, une machine comique bien étudiée, calibrée au poil de bite, c'était le cas de le dire, vulgarités comprises, pour produire ses effets aux moments voulus, les acteurs étaient bons, tout roulait, c'était d'une transparence d'exécution à toute épreuve et l'assistance semblait quasi unanimement avoir passé un très bon moment, si du moins l'on en croyait les applaudissements et les rires, mais voilà, reprenant son vélo après le départ des filles qui l'avaient laissé là, sa bière pas finie et une cigarette à peine allumée, il avait eu le temps de se retrouver seul au milieu du public qui s'attardait dans la chaleur du soir diluée sous les arbres du parc, dans un contraste saisissant d'ailleurs avec la claustration de la chambre d'accouchement où l'on s'était retrouvé·e·s enfermé·e·s deux heures durant, étouffante malgré la climatisation de la salle, extrayant finalement son vélo rendu peu maniable par le siège enfant du fatras de trottinettes scooters et autres deux roues toujours garés là, remontant ensuite les allées du bois jusqu'au carrefour qui le mènerait tout droit chez lui, en descente cette fois, il pouvait enfin laisser les choses se déposer un peu en lui, observer les réactions qu'il avait eues pendant la pièce, les points de crispation et ceux de décharge, la dynamique bien musculaire de la comédie à l'anglo-saxonne : tension, relâchement, tension, relâchement, tension… et que finalement la principale question que posait le texte n'avait jamais été prise en charge par la mise en scène : qu'est-ce que ça fait que ça soit tout à coup un homme, qu'est-ce que ça change ou rend possible ? pourquoi le rire était-il tout à coup permis là où s'il s'était s'agit d'une femme…

et rentrant à la maison et retrouvant Anna (l'autre, celle avec qui justement il était "passé par là"), lui raconter et recueillir sa colère déjà lassée et son refus ne fut-ce que de l'idée d'aller voir un truc comme ça

et il avait passé ensuite quelques jours à oublier peu à peu, procrastinant comme d'habitude le moment de prendre des notes pour sa critique, laissant le quotidien le mener à la semaine suivante qui ne lui laisserait par contre, il le savait parfaitement, pas une minute pour écrire, et puis, cette seconde semaine écoulée, discutant de tout autre chose, un mot lui était revenu, colère, et il avait compris qu'il s'agissait de ça, d'une colère qui était depuis toujours politiquement interdite ou suicidaire, en tout cas toujours récusée au titre du débat civilisé entre participants également dignes d'une démocratie mature et sûre d'elle-même, d'une colère utilisée comme marqueur de disqualification immédiate et à bien y réfléchir comme seule émotion politiquement exclue du débat : la tristesse, la peur ou l'inquiétude, la volonté et l'enthousiasme évidemment, la désapprobation muette ou vociférante, l'indignation, toute les infinies variations dans la gamme de la condescendance, tout ça oui pouvait constituer des devises dans le grand échange des positions et des paroles sociales s'était-il répété en vidant le lave-vaisselle, mais la colère, elle, était officiellement et depuis très longtemps, pensait-il à présent en allumant une cigarette après avoir laissé les casseroles sales au lendemain, depuis très longtemps le signe indiscutable de l'immaturité politique, de la parole désarticulée et absente à elle-même, rivée sur son particularisme, incapable de l'apaisement satisfait que l'on attend de toute personne aux responsabilités et partant, de toutes celles et ceux qui prétendraient adresser une parole au pouvoir

et avant même d'être un affect de dominé, un affect de femmes, une réaction quasi hormonale à l'injustice, dont la transformation en parole-de-sujet-majeur restait à faire, l'injonction à "dépasser sa colère" pour entrer dans l'espace supposément équanime de la pensée ou du dialogue étant toujours et partout répétée

il se demanda un temps quel était le dernier spectacle réellement en colère auquel il avait assisté — même la seule création qu'il avait vue d'Angelica Liddell ne lui avait pas laissé cette impression, malgré la réputation qui faisait de la perforeuse espagnole (le lapsus le fit sourire) la dernière représentante authentique d'une esthétique de la colère à la Artaud, mais sans doute cette impression manquée tenait-elle aussi aux couloirs du Singel d'Anvers, qui lui rappelaient invariablement l'architecture des hôpitaux ou ce qu'on peut s'imaginer d'un département de psychiatrie une fois vidé de ses occupants — bref la colère avait non seulement disparu des télévisions ou des radios (ou alors les colères surjouées par les autopersuadés de la persécution dont il se refusait à afficher les patronymes fatigués sur son écran mental), mais aussi déserté les scènes de théâtre où d'habitude et jusqu'il y a pas si longtemps il était tout de même admis que ça rentrait dans ses prérogatives, à la scène, voire dans les fonctions vitales qu'elle avait à tenir, que de faire place à une colère que ne pouvait dissoudre aucun applaudissement

et puis, plus tard en se brossant les dents, qu'alors cette transmutation de la colère de femmes dans les gesticulations d'un homme dont, du coup, on pouvait s'autoriser à rire autrement dit se moquer, ça avait quelque chose effectivement qui pouvait être reçu comme très violent

en fait ce texte parlait d'un homme qui vit quelque chose à la place d'une femme, quelque chose qui n'arrive qu'aux femmes ou aux personnes nées dans un corps de femme, qui est pétri du rapport que le patriarcat et la médecine masculiniste continuent d'entretenir avec les femmes, et qui, comble du risible, se met à réagir, en fait, comme n'importe quelle femme dans la même situation : il flippe, il découvre les douleurs surprises, il n'est pas écouté, il est constamment mansplainé, on lui impose des (mal)traitements parfaitement intrusifs voire violatoires, il s'énerve, il recule ou se contredit, il passe par des "caprices", renonce, pleure, se fâche, bref il est en fragilité et en lutte permanente pour sa propre sécurité physique et affective

et c'est finalement de ça qu'on avait ri, simplement on l'avait fait sous la garantie qu'il s'agissait d'une hypothèse donnée comme encore à ce jour purement fantaisiste, impossible à connecter avec quelque possibilité concrète de la médecine à plus ou moins court terme, et que cette impossibilité était ce qui autorisait à rire de cette lutte pour la sécurité ou finalement pour la dignité, qui dans le cas d'un homme blanc européen plutôt bien éduqué avait certes quelque chose de cocasse mais qui dès qu'on remplaçait cette image de propriétaire de monospace par d'autres figures masculines moins barricadées dans les bienfaits du capitalisme à l'européenne, faisaient tout aussi rapidement passer l'envie de rire

que cette proposition théâtrale ait été portée par une équipe assez largement féminine, du moins aux postes-clés de la traduction, de la mise en scène et du jeu, était du coup assez troublant en même temps que pas du tout étonnant (quel homme aurait osé ou même voulu, ou même se serait arrêté sur un tel texte, dans le paysage en place en tout cas il n'en voyait pas beaucoup), mais ce qui vraiment le chipotait jusque dans le calme soulagement qu'offrait la sieste des enfants, c'était cette confiance apparemment aveugle de la mise en scène dans les puissances du texte (le texte d'un homme sur l'expérience d'un homme) à relayer fidèlement les questions posées par le vécu traumatique de millions de femmes sujettes aux violences obstétricales ou aux maltraitances hospitalières, autrement dit cette absence quasi totale d'opacité dans la matérialisation du programme textuel sur la scène, aucun moment de décalage ou de distance ou d'interrogation sur ses éventuelles ambiguïtés, voire sur ses potentialités de violence symbolique ou d'exclusion, en somme sur ce qu'il opérait potentiellement comme texte, au-delà des gestes et des échanges verbaux qu'il faisait faire aux acteurices

ou alors il fallait considérer que le spectacle était finalement plutôt le préambule à sa propre médiation, un ouvreur de débat, voire une tentative de provocation, et que le vrai intérêt ou que la recherche résidait dans les paroles qu'il serait amené à déclencher, à charge ou en colère justement fallait-il s'attendre, plus que sans doute dans la reformulation un peu vide du ça fait réfléchir, sauf que cet espace de parole n'était pas proposé à l'issue des représentation semblait-il, pas ce soir-là du moins, si ce n'était dans des moments prévus d'avance avec des publics contactés d'avance (souvent des étudiant·es n'ayant le plus souvent pas de vécu à lui opposer), et préparés par le dossier contextuel-pédagogique que chacun pouvait demander à l'accueil, dossier qu'il avait fini par feuilleter et considéré plutôt bien fait pour un exercice aussi ingrat, malgré certains sursauts à la lecture de l'une ou l'autre formule

et il en était là de ses perplexités, devant l'écran de son ordinateur, le blanc légèrement grisé de l'application de traitement de texte se reflétant sur son visage un peu prostré, un peu fatigué par les dernières nuits et soirées où il avait bu un peu trop et dormi un peu trop peu pour son quotidien de jeune père, fumé beaucoup trop aussi mais ça c'était l'approche des vacances et il avait besoin d'en avoir un avant-goût, même s'il savait bien que la question des grasses matinées était désormais la même pendant les vacances que le reste de l'année, mais il aimait cette illusion de pouvoir retrouver la liberté de certains excès finalement très convenus qui faisaient la saveur et la nostalgie de sa vie d'étudiant ou de célibataire sans horaires de travail fixes

il se demanda un moment si pour écrire sur ce spectacle et sur la question de la colère il n'utiliserait pas un procédé symétrique à celui de la pièce : fictionnaliser une femme qui prenne la parole sur ce texte et sur cette version française montée au Poche pour la première fois, sur la surprise un peu douloureuse d'avoir découvert que l'auteur de la pièce était celui-là même qui avait aussi écrit la série Mindhunter dont Anna et lui avaient été si fervents, et où l'ambiguïté était palpable à chaque seconde, contrairement à ce Birthday très serré par sa forme, par son outrance, par sa peur peut-être de ne pas aller assez loin dans la saillie, dans la "férocité réjouissante", dans la "provocation lucide", tous ces mots qu'on lisait habituellement dans les coupures de presse citées sur les affiches de cinéma et qui finalement ne disait rien que la satisfaction du critique d'avoir saisi ce qu'il semblait y avoir à saisir, à savoir le "geste", l'ambition de provoquer ou d'affronter un sujet avec bravoure, mais pas tellement ce qu'on pouvait s'attendre à y trouver, à y entendre entre les lignes, à y écouter de ce qui ne se disait plus derrière la clameur des répliques et des rires, fictionnaliser une critique femme donc, mettre en scène pour ainsi dire sa réaction, ce qui lui apparut presque aussitôt comme la pire idée qu'il était possible d'avoir, comme un redoublement de cette prise de parole à la place de qui était déjà en jeu dans ce texte, de cette sorte de camouflet assez ahurissant qui faisait la preuve par l'exemple que s'il s'était agi de l'accouchement d'une femme, non seulement personne sans doute n'aurait ri mais il n'y aurait sûrement pas eu de spectacle ni même certainement de texte

comment écrire sur cette parole absente logée derrière la tonitruance de la comédie à l'anglaise ? comment entendre la colère et LA LAISSER PASSER ET IRRIGUER ET NON PAS CANALISER ET DÉVIER ?, vit-il s'afficher devant lui en lettres romaines, entre les pixels de son écran, comme taillées et passées au rouge sur le socle d'une statue absente, la statue impossible du fleuve Colère

et il se leva pour se chercher un verre d'eau

 

Arnaud Timmermans

Malmenés



J'ai eu du mal à entamer une écriture sur Birthday; comment écrire avec respect sur une pièce qui nous a malmenée? J’ai adoré la programmation assez audacieuse et éclectique du Poche cette année, bousculant les questions de société de façon originale, en donnant de la visibilité à des troupes jeunes, à l’énergie prenante et explosive. Nul doute que Birthday ait trouvé sa place parmi celles-ci, pour conclure la saison.

La thématique est si actuelle, à l’heure où les genres sont dépoussiérés et réappropriés, questionnés, défendus; à l’heure où le racisme tend à être conscientisé ou du moins, rendu visible dans la conscience collective.

J’imagine tout le travail derrière une pièce de théâtre et je le respecte profondément. Mais Birthday m’a embarquée de malaise en malaise pendant plus d’une heure. La pièce est l’oeuvre de Joe Penhall et semble-t-il, aurait rencontré un franc succès Outre-Manche…Je me suis demandé durant toute la pièce à quel moment elle avait été écrite. J’avais l’impression d’être propulsée dans mon enfance, un samedi soir sur TF1. Quand toutes ces questions, bien ancrées dans la binarité hommes-femmes, se résumaient à des blagues entendues sur le sexe opposé. Quand les hommes venaient de Mars et les femmes de Vénus. Quand mes parents avaient la trentaine et que je riais parce qu’ils riaient.

Fréquentant les milieux militants LGBTQIA+ - ce grand méchant loup capricieux et individualiste parmi les femmes voilées soumises et analphabètes, les étrangers qui revendiquent un peu trop de choses et les féministes jamais contentes- je me suis demandé si nous n’étions pas à des années lumières de la planète terre avec nos théories et nos vocables hermétiques, plus du tout accessibles pour le reste de la société; si occupé.e.s à diriger un monde nouveau dans nos chimères et imaginaires contradictoires qu’on ne s’est pas rendus compte que le vaisseau de la planète s’en allaient sans nous, planté.e.s-là, coincé.e.s dans un autre espace-temps. Et pendant ce temps sur le terre, zéro écho de nos colères sauf dans des piges sous-payées et mal fichues, commentées de façon acerbes par des internautes anonymes visiblement personnellement affectés.

La pièce se veut politique…j’ai assisté impuissante à une déferlante de clichés grotesques. Le questionnement sur le genre peut-il se limiter à un jeu sur l’inversion des rôles? d’où viennent la domination masculine, le patriarcat; quels en sont les mécanismes et les conséquences, en termes de violences exercées et d’égalités des chances? Quelle est la place des genres se baladant sur un long spectre jusqu’ici réduit à une dichotomie bleu-rose? Je pense que malgré le talent incontestable d’Ed, chez qui on perçoit un comédien brillant, la pièce loupe le coche, passe à côté de l’objectif en comblant les errements du texte à grand renfort de décibels assourdissants. Comme les grands finals thérapeutiques de pièces et films de famille dignes de ce nom, où tout explose, y compris le masque craquelant d’une harmonie apparente, sous lequel s’agitent des rancœurs sourdes.

D’où vient le ressentiment d’Ed? Sa grossesse a une dimension symbolique et vengeresse que je ne parviens pas à saisir. Tourné en dérision au départ, ce "caprice humain", soutenu par une science aveugle et complice, témoignerait d’un mal ancestral plus profond: il faudrait pardonner aux hommes d’avoir voulu régner en maîtres absolus sur terre y compris sur le corps des femmes, en l’aliénant de diverses façons car ils souffriraient de ne pas avoir ce pouvoir ultime de créer la vie. Ces femmes sont bien trop puissantes pour ne pas les astreindre, contraindre, rabaisser, écraser, humilier, silencier, invisibiliser, insécuriser, harceler, agresser. Elles leur font l’injustice d’être démiurges. C’est là le déséquilibre des rapports hommes-femmes: elles ont tout eu dès la Genèse. Ça se compense.

Tout fait sens…

Je pense que l’enjeu des dominations, de la virilité toxique, ne se limite pas à inverser les rôles, tout en accentuant les clichés au passage: l’émancipation de la femme ne serait-elle que capitaliste finalement- finir en patron d’entreprise? Cela me rappelle les aspirations d’une femme libre années-quatre-vingt et la force visuelle des épaulettes larges des costumes féminins.

Partager la capacité à porter la vie, pour se renforcer dans un cliché d’émancipation? C’est oublier que ma liberté c’est aussi de ne pas me faire harceler par une horde de vautours forts de leur phallus dans les espaces publics, ne pas me faire interrompre, ne pas me faire battre ni violer ou les deux…oui, je la ramène encore avec cet horrible féminisme qui gâche la fête mais parce que ça, ce sont des insécurités qu’aucun homme cis et hétéro- en tout cas en grande majorité- ne connaîtra jamais.

Plutôt que d’imaginer un futur d’hommes enceints- et en fait, ça existe, il existe des hommes enceints- pourquoi ne pas rouspéter sur un présent plus urgent à changer? Inverser les rôles pour bien faire comprendre aux “mecs” que tout ce qu’on a construit autour de leur petite personne est irrespirable et que s’ils veulent prendre notre place: c’est gratuit. Faire la vaisselle et le ménage, c’était avant, tester le regard libidineux sur vos fesses, voilà le futur.

N’est-ce pas frappant, que l’homme cis enceint soit douillet; qu’enfermé à la place de l’autre, il ne pourrait être que ridicule, immature, incapable….réduit? Un homme enceint est un homme impuissant, geignard, laissé à la merci de, jusqu’à se faire pénétrer par un instrument médical énorme. L’image est très parlante.

La question des violences passe complètement inaperçue, tant la dérision s’empâte dans des kilomètres d’humour potache à la de Benoist.

La thématique raciale quant à elle m’a fait hésiter à sortir de la pièce. Elle est présente tout le long de la représentation: avec cette aide-soignante noire, incompétente à souhait, illégitime dans sa fonction à force d’ignorance, de paresse, de mollesse et qu’on finit par rabrouer. Est-ce seulement un brin réaliste? Non, c’est du théâtre mais si on veut traiter de la question raciale, on ne peut pas faire l’impasse sur le fait qu’à nouveau, les rares et seules figures noires que l’on aperçoit sur scène ont des rôles stéréotypés uniquement pour faire rire la galerie sans y parvenir.

Au secours! A l'aide!

J’ai voulu faire fie de, en me disant que le rôle avait été distribué au hasard mais la question a été exprimée à travers un dialogue inconfortable entre l’aide soignante et son patient. C’était le retour de Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu, avec des propos dont j’ai eu honte. Elle se faisait, par défaut, le porte-voix d’une communauté, en employant des termes qui faisait de son rapport interpersonnel, une réalité générale: “vous les blancs”. J’avais simplement envie de m’enfuir. Puisqu’on ne peut plus rien dire, à l’heure où questionner des mécanismes sociétaux est devenu synonyme de quasi-complotisme, à l’heure où le terme “wokisme” est raillé, j’avais peur de râler, “encore”.

On peut faire ce qu’on veut de nos oeuvres mais alors on ne doit pas forcément se revendiquer d’une dimension politique quand elle est inexistante ou maltraitée. Mon amie est partie, je suis restée jusqu’au bout, me tortillant sur mon siège et zieutant la sortie. J’ai toutefois conscience que les pièces se reflètent sur le public comme un miroir brisé ou un kaléidoscope, qu’une fois qu’on appelle un écrit Critique, il se donne une place injuste et dangereuse: celle de “critiquer” sans droit de réponse, celle de faire de son goût personnel esthétique, philosophique ou politique une vérité sur laquelle aligner le monde. Une illusion de toute-puissance, sans autre reflet que celui du moi profond avec tout son vécu, qui ne peut souffrir l'insubordination (terme policier voire très militaire qu'on utilise dans les emplois, pour les fautes graves, les licenciements et tutti quanti) de nos contemporains, à nos pensées les plus légitimes.

Non. Cet écrit à la dimension de ma seule personne et c’est aussi grâce à son insignifiance que je peux donner mon avis- sans m'aligner, sans m'aliéner dans ce rire de salle gras presque homogène- comme n’importe qui, et qui est certes, “malmenant” mais toutefois singulier.

 

Raïssa Alingabo Yowali M'bilo


Robot et mirabelles

C'est la mode des rituels. Non pas que nous n'en n'ayons pas, nous en avons tout plein déjà. Mais nous en voulons de meilleurs. Nous voulons nos vies plus belles avec des flambeaux, des baignades et des tatouages. Même à l'église catholique romaine pourtant peu repérée pour sa force expérimentale j'ai perçu cette tendance.

Je m'étais rendue à une messe de minuit incognito, à l'évêché même et j'ai bien vu cette nuit-là qu'il y avait eu comme une tentation esthétique, probablement dans le but de rendre plus intense le moment de l'eucharistie. Ils avaient fait cela en poussant le son des cloches à fond, en levant l'Ostie qui avait la taille d'un cerceau calice le plus haut possible à bout de bras et en braquant le projo sur le calice doré pour éblouir les fidèles.

Je m'étais même demandée s'ils n'avaient pas bénéficié de l'accompagnement d'un.e metteur.se en scène.

En tous cas, quelqu'un avait pris les costumes en main car les soutanes étaient en soie jaune un peu tie and die batik et brodées façon dessin contemporain, les simples contours d'un divin enfant au point de croix rose flashy.

Cela n'échappe désormais à personne. Malgré des centaines de milliers d'années de récurrence, la naissance et la mort se produisent toujours encore dans une sorte de flou pas du tout artistique, dans la maladresse. Que celles et ceux qui naissent ou trépassent fassent comme ils le peuvent, paraît encore logique... Encore que, ceux.elles qui meurent ont parfois quelques années tout de même pour imaginer une réplique, un geste ... au lieu de l'habituel flou ou torpeur.

Mais les autres. Nous autres. Il faut voir comme la naissance et la mort continuent à nous terroriser, à nous laisser pantois.

Dans un présent nu. Sans chanson. Sans recette de cuisine spéciale pour l'occasion, quand même ultra événementielle.

Avec Arnaud de la Salve et son amie Anna nous avons échangé sur nos comportements de spectateurs.

Comme il n'est pas facile de rire fort quand les voisins sont tout en retenue.

Comme il est parfois courageux de se lever seul.e et de crier bravo.

Moi, je profite vraiment de ces sorties au théâtre et du spectacle Birthday pour rire de bon cœur. C'est le Solstice d'Été. Nous sommes réunis dans la forêt car le théâtre de poche est au bois de la Cambre. Dehors, après le show, nous boirons un verre sous les lampions au milieu des pins.

Donc je regarde Birthday et je ris mais je sens aussi les larmes qui coulent sans arrêt sur mes joues.

C'est pourtant un spectacle pour rire. Un homme s'apprête à accoucher et il fait vraiment sa chochotte exactement comme une femme dans les mêmes circonstances souvent pourries mais en un peu pire ....

hahaha on rit que les hommes soient vraiment des chochottes et comme ils ne feraient pas les malins s'ils devaient endurer cette situation délicate de l'accouchement contemporain. Hahaha ça fait du bien de rire des hommes chochottes. Soit.

On rit aussi d'un rire un peu moins léger. Disons qu'on a aussi ici l'occasion de sortir son petit rire avisé, car le spectacle pointe des endroits rarement éclairés.

La pièce se déroule dans une chambre d'hôpital, au seuil de la vie d'un nouveau petit être qui brille par son absence.

Sans doute je pleure car j'ai vécu ce moment de bascule il y a seulement deux ans. Ce moment d'avant le tour de magie où vous êtes encore seuls, sans cet enfant qui va irradier vos nouveaux jours et une bonne grosse partie de votre vie de sa lumière, façon bombe atomique.

C’est un moment curieux. Un trou de vie curieux que cette gestation.

C'est un moment de vulnérabilité intense qui se prolonge aussi pendant les premiers jours de l'arrivée de l'enfant. C'est un moment où la linéarité de notre identité est brisée. Nous ne savons plus très bien qui nous sommes et c'est pareil pour l'enfant qui est né. Nous ne savons pas qui il est. Il est vraiment propulsé dans le chaos électrique de la pure présence. En Belgique, on a d'ailleurs 15 jours pour nommer le petit.

J'avais lu autrefois qu'en Afrique, on pouvait avoir 40 jours sans nommer, sans encercler. On appelle le petit par des sobriquets péjoratifs comme ver de terre ou crotte car la vulnérabilité est à son comble et la vie et la mort sont toutes cousines dans ces moments-là et la linéarité des existences et des personnalités est perturbée. Disons qu'on baigne dans un magma, on est liquide et en danger.

Bon voilà, je pleure, je pleure ...

Je trouve alors vraiment chouettos potatoes que le secteur culturel et médical se soient ce soir donné la main pour prendre soin de mes blessures passées. J'ai même la sensation d'être venue ce soir « sur ordonnance ».

Mais je pleure aussi de rage enfouie parce que l'auteur montre le côté un petit peu dark de ce moment de vie : la séquence over médicalisée de la naissance, qui est selon moi l'une des principales raisons de la pauvreté rituelle de la situa-sillon qui mérite pourtant atten-sillon.

Je dis en sortant à mes camarades sous les lampions : impression qu'il a photocopié un morceau de ma vie :

la scène délicatement mise au placard., dans la chambre d'hôpital où j'ai été oubliée il y a deux ans.

La scène délicatement roulée en boule et laissée sur place, avec la chemise de nuit ficelles dos et cul nu.

Je dis : non mais c'est exactement comme ça que se passe un accouchement à l'hôpital.

Après la naissance de ma fille, un accouchement tout à fait sportif complètement banal et extraordinaire, j'ai été oubliée pendant 5 jours dans une chambre d'hôpital extraordinaire et banale. Un chirurgien devait venir analyser rapidos l'hémorroïde géante née elle aussi ce jour-là d'une poussée banale et extraordinaire tout à fait sportive.

Mais comme il avait des cas plus sérieux, il ne revenait jamais. Il ne revenait jamais. Il ne revenait jamais.

Il ne revenait jamais.

J'ai donc été conservée là avec mon bébé. On m'a laissé dériver comme un vieille méduse. Ma plus grande fille commençait à s'inquiéter de ma brutale disparition. J'avais dû ces jours-là lui expliquer que l'hôpital était en pleine saturation.

Dans ce genre de moment de vie, on est un peu au théâtre mais sur un lit. Et s'enchaînent les entrées et sorties.

Parfois, c'est le père, qui lui est en liberté même si la bombe atomique lui a aussi niqué une partie de ses défenses... il jouit en tous cas du plaisir immédiat quoique limité d'aller vous acheter des smoothies en zone libre pendant que vous devez vous contenter de traîner la patte à cause de la cicatrisation dans les couloirs moites et austères, en tenue de mourante.

(Hahahaha cette scène du spectacle où l'homme est un peu jaloux de la liberté de sa compagne est bien marrante.)

Parfois, c'est le ballet des soignants.es qui exactement comme dans la pièce, ont le travail ingrat de vous faire patienter alors qu'une grosse dépression post partum d'origine hormonale institutionnelle, autant chimique que politique enfle en vous comme une mérule (merula lacrimans).

La situasillon est donc bien délicate. L'hôpital, si vous vous laissez faire les yeux fermés, ne propose pas de bonnes conditions de « passage ». Car c'est bien d'un passage, au sens rituel primal, qu'il s'agit.

Si vous vous laissez faire, que vous n'êtes pas un peu vigilante, que vous n'allez pas trouver les bonnes sages femmes militantes, en lutte qui vont vous protéger du système médical, vous apprendre à accoucher comme une grande, vous aider à virer les tonnes de peurs collantes qu'on vous a mises dessus, vous risquez franchement d'être maltraitées.

On peut vous inventer une pathologie qui vous vissera à la chaise longue et vous fera vous sentir comme une petite chose fragile. Bonjour la vie.

On vous demandera de vous mettre nue les gens écartés, les cul sur du skaï collant on vous enfoncera, sans vous demander votre avis, l'appareil à échographie en forme de bite dans le sexe alors que sur le ventre ça marche juste en levant le pull et tout aussi bien.

On essaiera de vous fixer un jour d'accouchement à l'avance pour arranger le calendrier de l'obstétricien : ce type de déclenchement accentue les douleurs et provoque un accouchement beaucoup plus difficile

On vous donnera un coup de scalpel dans le sexe au moment de l'arrivée de la tête du bébé, pour aider sa sortie alors qu'une déchirure naturelle cicatrisera mieux et vous perturbera plus légèrement quand vous ferez à nouveau l'amour.

Bien sûr une novlangue assez laide recouvre cette réalité. On va vous parler de sécurité, d'accouchement à problème, de protocole et de norme. On baillera quand vous poserez trop de questions. Y compris quand votre corpulence ou état de santé ouvrira la voie directe à un accouchement médical. On vous parlera mal. On vous touchera n'importe comment. Le tout dans une déco vraiment décevante.

Bien sûr, comme l'explique le dossier de presse vendu 2 euros à la sortie du spectacle, nous sommes arrivés en Occident à une mortalité en couche cinquante fois moins forte qu'un siècle auparavant.

Alors bon, mon blues même pas du Mississipi, n'est-il pas un peu capricieux ? Déjà, on est à peu près vivantes.es à l'arrivée alors la poésie, la « pathein » en « plus du mathein ».... minute papillon.

Et toute cette pièce, satire de l'hôpital contemporain et critique des conditions contemporaines de la venue au monde n'est-elle pas vaine et légère ? Se peut-il vraiment que patriarcat et système médical soient intimement ligués contre les femmes alors que la bonne santé triomphe depuis des décennies ? Lisez Fragiles ou contagieuses, le pouvoir médical et le corps des femmes de Barbara Ehrenreich et Deirdre English.

Ed, le héros est un homme.

C'est lui qui accouche. C'est à dire que dans la pièce, la médicalisation a tellement progressé, qu'on peut porter l'enfant et se le faire sortir du ventre après une anesthésie générale. Passez le rire peu grâcieux mais joyeux de moquerie à l'égard de l'homme chochotte, je suis désolée de dire que je ne vois pas trop où est la clarté féministe dans le texte. Si homme chochotte a mal, ce n'est pas qu'il est faible, c'est que le système rend vulnérable. Vraiment vulnérable. Femmes et hommes plongés dans le même bain. Peut-être Birthday titille maladroitement la question de l'égalité de sexe.

Il me semble même que plutôt que de revendiquer l'égalité entre les sexes (promesse du programme) Birthday dénonce l'aliénation de la femme et de son corps par la médecine et son monde.

Birthday raconte précisément la dépossession totale de l'expérience de l'accouchement, dans le contexte hospitalier industriel :

comment on finit, désactivé.e, dans une sorte de purgatoire, complètement abandonné.e et sans aucun sens de l'action, dans un état psychique « limite ».

Birthday dénonce ce qu'Ivan Illich a très bien décrit dans la Némésis médicale.

Lorsque leur développement dépasse certains seuils critiques, certaines institutions deviennent les principaux obstacles à la réalisation des objectifs qu’elles visent. Cette « contre-productivité paradoxale», version moderne du mythe de la Némésis (déesse grecque de la vengeance), touche également le monde de la médecine. On assiste même à la diminution de la santé des hommes sous l’effet du développement sans fin de l’institution médicale, on constate l’inefficacité globale d’une médecine coûteuse, la perte de la capacité personnelle des individus à s’adapter à des environnements variés et le triomphe mythe de l’immortalité qui conduit au déni de la douleur, du vieillissement et de la mort.

J'adore Ivan Illich. J'adore son livre « la convivialité » et j'adore son livre « une société sans école ». Je pourrai le citer tous les jours à chaque fois que je me mets en colère.

Heureusement, depuis une trentaine d'années, des gynécologues hommes et femmes et des sages femmes militent pour une transformation de ce système et pour des conditions d'enfantement plus douces, plus sereines et plus dignes.

Malheureusement, trop souvent dans le secteur privé ou alternatif:tant et si bien que le désir d'accoucher autrement est injustement assimilé à une mode bourgeoise wellness and co plutôt qu'à un vrai combat social.

Mais des gynéco et sages femmes militantes et informées s'infiltrent aussi dans le système. Ils sont tellement malins et inspirés qu'ils y arrivent très bien.

A Ath, ville qui aime les enfants et a David (contre Goliath) comme héros de Ducasse, il existe une maternité publique qui innove pour des accouchements plus doux et conscients. La maternité publique des 12 Lunes.

C'est une maternité rebelle et pionnière qui lutte depuis 25 ans pour redonner du pouvoir aux parents et à l'enfant : du pouvoir, de la liberté et de la convivialité.

Si tout roule, on peut manger pendant l'accouchement, entièrement mettre en scène et scénographier ce moment, y compris chorégraphiquement.

Je me souviens même que pour mon premier enfant ils m'ont curieusement laissée pousser mes cris rauques de montagne qui s'ouvre dans le couloir et que les visiteurs du jours riaient gentiment de mon état. (ambiance Ducasse quand même...)

Et si ça tourne mal, une équipe médicale reprend les choses en main avec un vocabulaire adapté et étudié.

A Érasme, Anderlecht, ils ont carrément des cours de théâtre pour parler aux parents.

A Érasme, Anderlecht, ils vous laissent aussi le plateau nu. Vous vous occupez vous même de la scéno, de la musique et des éclairages. Les docteurs déboulent seulement en cas de grave problème. Vous restez les auteurs.trices de votre existence. Votre propre vie et votre propre corps ne vous sont pas volés.

Et les hommes aussi peuvent participer, inventer leur nouveau rôle dans l'histoire de la vie. (alley les gars...)

Et je tiens ici à dire à mes sœurs que la question n'est pas péridurale ou pas péridurale. La question n'est pas de mettre le seum comme on le fait parfois à celles et ceux qui n'ont pas réussi à accoucher en moins d'une heure en chantant et en ayant un orgasme en même temps. Soyons unie.es. La question est bien celle de notre pouvoir sur la situation, quelques soient nos choix, besoins, chances, risques et malchances.

Dérivation. J'ai parlé de photocopie d'un instant de ma vie en parlant de Birthday.

C'est bien exact que l'industrie médicale a essayé de transformer ce moment unique dans la vie des mères, des pères et des enfants en un moment identique pour chacune et chacun.

Mais il y a des résistances et des venues au monde poétiques et réinventées. Même par un geste ajouté.

En ce sens, Birthday montre aussi vraiment l'appauvrissement de l' imaginaire de la naissance et notre robotisation.

Je ne sais pas quand Birthday a été écrit mais sur ce point, Birthday me paraît légèrement daté. Nos imaginaires et nos manières de composer nos situations ont bougé récemment. Nous sommes devenus plus originaux et libres et il n'est pas rare de voir des infirmiers.ières organiser clandestinement des moments dansants dans la salle des machines.

Tenez, quelques preuves.

J'ai des amis qui viennent justement d'accueillir leur petit enfant. Je leur rends visite, il y a d'autres amis.es à la maison.

Elle a fabriqué elle-même un panier avec des branches où dort le bébé: une sorte d'oeuf en osier et lin et il s'est levé la nuit pour dessiner une étreinte entre des amoureux.ses de plusieurs mètres de long et de diamètre sur la bâche de la gare du midi en travaux.

Je raconte le spectacle, vu la veille et contre toute attente, chacun se met à raconter « son accouchement », femmes, hommes, ex bébé...

Commence le père de mes enfants, qui a essayé bien des trucs pour aider nos petites à chaque fois un peu coincées et dit volontiers qu'il a l'impression d'avoir accouché. Et l'épreuve était telle pour lui aussi, à voir le sang couler, à me voir possédée, qu'il ne me viendrait pas à l'idée de l'incendier en lui rappelant le contraire.

Il raconte aussi la déco agencée rapido pour le grand moment. Mon tissu préféré sur le lit en plastoc, les colliers de coquillage qu'il s'était mis autour du cou pour accueillir le bébé, nu sous son tablier à carreau préféré par solidarité pour moi et aussi la tartes aux mirabelles cueillies qu'il a fabriquée pour le goûter de 3h du mat', avec les sages femmes.

B raconte comme on l'a disputé, comme on lui a demandé de sortir quand il a blêmi devant la taille de l'aiguille de la péridurale de sa compagne et comme il est revenu, comme il s'est assis derrière elle, l'a enlacée par la taille avant de se mettre à chantonner pour faire venir le bébé pendant qu'on lui criait de ne pas de ne pas.

S. se souvient d'avoir sué des heures durant avec un psychotrope et d'avoir accouché de son propre bras.

C'était extrêmement douloureux et fort mais à la fin, il berçait son bras et c'était merveilleux d'avoir ce membre si précieux qui était là désormais accroché à son coude. Son bras. Son bras. Magnifique. Le plus beau bras.

T. qui n'a pas d'enfant, se souvient aussi d'avoir accouché. Ce n'était pas facile, c'était glissant et serré en même temps, il y avait un passage vraiment difficile. Sa mère a vomi et a failli mourir. C'était vraiment un saut curieux dans un autre monde. Mais il a réussi à sortir et on l'attendait à la sortie. Il dit qu'il s'en souvient vraiment et qu'il peut donc dire : voilà mon accouchement.

Mon amie J, elle, a carrément chié le monde. Ce n'était pas facile non plus mais elle a réussi.

Anna Czapski


Birthday

Assise à côté de deux femmes, mamans, d’après leur chuchotement, elles riaient à gorge déployée se remémorent les souvenirs de leurs accouchements. N’ayant jamais vécu une telle expérience et les voyant passer un bon moment, je ricanais timidement avec elles et suis sortie de la pièce avec un sentiment de gêne que je ne pouvais pas expliquer sur le moment.

Je me repasse les images dans ma tête, je lave mes pensées. Tout change. Les questions se bousculent, s’écrasent puis s’entassent.

Au début, de l’incompréhension, ensuite une bouffée d’aigreur.

Le mot qui me vient à l’esprit est Audace

Il faut de l’audace pour faire un tel travail, l’offrir au public et en être fière.

Il faut de l’audace pour une telle insouciance.

Il faut de l’audace pour parodier la pulsation d’un nouveau souffle né sur un plateau.

Il faut de l’audace pour imaginer un homme enceint, mimant grossièrement l’expérience des femmes.

Il en faut, de l’audace, pour délivrer les clichés sociétaux avec une telle dérision.

Car pour moi, l’objectif est de combattre l’infériorisation des femmes et valoriser leurs expériences, à travers la découverte de leur passé et la meilleure connaissance des processus qui mènent à cette infériorisation. Et jusque-là, posée sur mon siège en bois, je ne m’y suis pas retrouvée.

Et si papa et maman n’étaient plus ce qu’ils étaient ?
Je me ressasse tous les questionnements des relations hommes-femmes, les questions de genres, les clichés délivrés sur le plateau avec autant de légèreté et de lourdeur à la fois.
Et si papa et maman inversaient les rôles ?
Et si la grossesse était une affaire d'hommes, leur permettant de porter des bébés ?

Ces questions...

À l’heure où le droit à l’avortement est en péril, où des hommes cis - hétéros prennent les décisions pour et à la place des femmes.

À l’heure où la virilité est un sujet divisant les opinions de chacun.

À l’heure où il y a des prises de position contradictoires, des interprétations divergentes, des références multiples.

J’ai maintenant compris d’où venait cette gêne.

Marie Paule Mugeni