C'est la mode des rituels. Non pas que nous n'en n'ayons pas, nous en avons tout plein déjà. Mais nous en voulons de meilleurs. Nous voulons nos vies plus belles avec des flambeaux, des baignades et des tatouages. Même à l'église catholique romaine pourtant peu repérée pour sa force expérimentale j'ai perçu cette tendance.
Je m'étais rendue à une messe de minuit incognito, à l'évêché même et j'ai bien vu cette nuit-là qu'il y avait eu comme une tentation esthétique, probablement dans le but de rendre plus intense le moment de l'eucharistie. Ils avaient fait cela en poussant le son des cloches à fond, en levant l'Ostie qui avait la taille d'un cerceau calice le plus haut possible à bout de bras et en braquant le projo sur le calice doré pour éblouir les fidèles.
Je m'étais même demandée s'ils n'avaient pas bénéficié de l'accompagnement d'un.e metteur.se en scène.
En tous cas, quelqu'un avait pris les costumes en main car les soutanes étaient en soie jaune un peu tie and die batik et brodées façon dessin contemporain, les simples contours d'un divin enfant au point de croix rose flashy.
Cela n'échappe désormais à personne. Malgré des centaines de milliers d'années de récurrence, la naissance et la mort se produisent toujours encore dans une sorte de flou pas du tout artistique, dans la maladresse. Que celles et ceux qui naissent ou trépassent fassent comme ils le peuvent, paraît encore logique... Encore que, ceux.elles qui meurent ont parfois quelques années tout de même pour imaginer une réplique, un geste ... au lieu de l'habituel flou ou torpeur.
Mais les autres. Nous autres. Il faut voir comme la naissance et la mort continuent à nous terroriser, à nous laisser pantois.
Dans un présent nu. Sans chanson. Sans recette de cuisine spéciale pour l'occasion, quand même ultra événementielle.
Avec Arnaud de la Salve et son amie Anna nous avons échangé sur nos comportements de spectateurs.
Comme il n'est pas facile de rire fort quand les voisins sont tout en retenue.
Comme il est parfois courageux de se lever seul.e et de crier bravo.
Moi, je profite vraiment de ces sorties au théâtre et du spectacle Birthday pour rire de bon cœur. C'est le Solstice d'Été. Nous sommes réunis dans la forêt car le théâtre de poche est au bois de la Cambre. Dehors, après le show, nous boirons un verre sous les lampions au milieu des pins.
Donc je regarde Birthday et je ris mais je sens aussi les larmes qui coulent sans arrêt sur mes joues.
C'est pourtant un spectacle pour rire. Un homme s'apprête à accoucher et il fait vraiment sa chochotte exactement comme une femme dans les mêmes circonstances souvent pourries mais en un peu pire ....
hahaha on rit que les hommes soient vraiment des chochottes et comme ils ne feraient pas les malins s'ils devaient endurer cette situation délicate de l'accouchement contemporain. Hahaha ça fait du bien de rire des hommes chochottes. Soit.
On rit aussi d'un rire un peu moins léger. Disons qu'on a aussi ici l'occasion de sortir son petit rire avisé, car le spectacle pointe des endroits rarement éclairés.
La pièce se déroule dans une chambre d'hôpital, au seuil de la vie d'un nouveau petit être qui brille par son absence.
Sans doute je pleure car j'ai vécu ce moment de bascule il y a seulement deux ans. Ce moment d'avant le tour de magie où vous êtes encore seuls, sans cet enfant qui va irradier vos nouveaux jours et une bonne grosse partie de votre vie de sa lumière, façon bombe atomique.
C’est un moment curieux. Un trou de vie curieux que cette gestation.
C'est un moment de vulnérabilité intense qui se prolonge aussi pendant les premiers jours de l'arrivée de l'enfant. C'est un moment où la linéarité de notre identité est brisée. Nous ne savons plus très bien qui nous sommes et c'est pareil pour l'enfant qui est né. Nous ne savons pas qui il est. Il est vraiment propulsé dans le chaos électrique de la pure présence. En Belgique, on a d'ailleurs 15 jours pour nommer le petit.
J'avais lu autrefois qu'en Afrique, on pouvait avoir 40 jours sans nommer, sans encercler. On appelle le petit par des sobriquets péjoratifs comme ver de terre ou crotte car la vulnérabilité est à son comble et la vie et la mort sont toutes cousines dans ces moments-là et la linéarité des existences et des personnalités est perturbée. Disons qu'on baigne dans un magma, on est liquide et en danger.
Bon voilà, je pleure, je pleure ...
Je trouve alors vraiment chouettos potatoes que le secteur culturel et médical se soient ce soir donné la main pour prendre soin de mes blessures passées. J'ai même la sensation d'être venue ce soir « sur ordonnance ».
Mais je pleure aussi de rage enfouie parce que l'auteur montre le côté un petit peu dark de ce moment de vie : la séquence over médicalisée de la naissance, qui est selon moi l'une des principales raisons de la pauvreté rituelle de la situa-sillon qui mérite pourtant atten-sillon.
Je dis en sortant à mes camarades sous les lampions : impression qu'il a photocopié un morceau de ma vie :
la scène délicatement mise au placard., dans la chambre d'hôpital où j'ai été oubliée il y a deux ans.
La scène délicatement roulée en boule et laissée sur place, avec la chemise de nuit ficelles dos et cul nu.
Je dis : non mais c'est exactement comme ça que se passe un accouchement à l'hôpital.
Après la naissance de ma fille, un accouchement tout à fait sportif complètement banal et extraordinaire, j'ai été oubliée pendant 5 jours dans une chambre d'hôpital extraordinaire et banale. Un chirurgien devait venir analyser rapidos l'hémorroïde géante née elle aussi ce jour-là d'une poussée banale et extraordinaire tout à fait sportive.
Mais comme il avait des cas plus sérieux, il ne revenait jamais. Il ne revenait jamais. Il ne revenait jamais.
Il ne revenait jamais.
J'ai donc été conservée là avec mon bébé. On m'a laissé dériver comme un vieille méduse. Ma plus grande fille commençait à s'inquiéter de ma brutale disparition. J'avais dû ces jours-là lui expliquer que l'hôpital était en pleine saturation.
Dans ce genre de moment de vie, on est un peu au théâtre mais sur un lit. Et s'enchaînent les entrées et sorties.
Parfois, c'est le père, qui lui est en liberté même si la bombe atomique lui a aussi niqué une partie de ses défenses... il jouit en tous cas du plaisir immédiat quoique limité d'aller vous acheter des smoothies en zone libre pendant que vous devez vous contenter de traîner la patte à cause de la cicatrisation dans les couloirs moites et austères, en tenue de mourante.
(Hahahaha cette scène du spectacle où l'homme est un peu jaloux de la liberté de sa compagne est bien marrante.)
Parfois, c'est le ballet des soignants.es qui exactement comme dans la pièce, ont le travail ingrat de vous faire patienter alors qu'une grosse dépression post partum d'origine hormonale institutionnelle, autant chimique que politique enfle en vous comme une mérule (merula lacrimans).
La situasillon est donc bien délicate. L'hôpital, si vous vous laissez faire les yeux fermés, ne propose pas de bonnes conditions de « passage ». Car c'est bien d'un passage, au sens rituel primal, qu'il s'agit.
Si vous vous laissez faire, que vous n'êtes pas un peu vigilante, que vous n'allez pas trouver les bonnes sages femmes militantes, en lutte qui vont vous protéger du système médical, vous apprendre à accoucher comme une grande, vous aider à virer les tonnes de peurs collantes qu'on vous a mises dessus, vous risquez franchement d'être maltraitées.
On peut vous inventer une pathologie qui vous vissera à la chaise longue et vous fera vous sentir comme une petite chose fragile. Bonjour la vie.
On vous demandera de vous mettre nue les gens écartés, les cul sur du skaï collant on vous enfoncera, sans vous demander votre avis, l'appareil à échographie en forme de bite dans le sexe alors que sur le ventre ça marche juste en levant le pull et tout aussi bien.
On essaiera de vous fixer un jour d'accouchement à l'avance pour arranger le calendrier de l'obstétricien : ce type de déclenchement accentue les douleurs et provoque un accouchement beaucoup plus difficile
On vous donnera un coup de scalpel dans le sexe au moment de l'arrivée de la tête du bébé, pour aider sa sortie alors qu'une déchirure naturelle cicatrisera mieux et vous perturbera plus légèrement quand vous ferez à nouveau l'amour.
Bien sûr une novlangue assez laide recouvre cette réalité. On va vous parler de sécurité, d'accouchement à problème, de protocole et de norme. On baillera quand vous poserez trop de questions. Y compris quand votre corpulence ou état de santé ouvrira la voie directe à un accouchement médical. On vous parlera mal. On vous touchera n'importe comment. Le tout dans une déco vraiment décevante.
Bien sûr, comme l'explique le dossier de presse vendu 2 euros à la sortie du spectacle, nous sommes arrivés en Occident à une mortalité en couche cinquante fois moins forte qu'un siècle auparavant.
Alors bon, mon blues même pas du Mississipi, n'est-il pas un peu capricieux ? Déjà, on est à peu près vivantes.es à l'arrivée alors la poésie, la « pathein » en « plus du mathein ».... minute papillon.
Et toute cette pièce, satire de l'hôpital contemporain et critique des conditions contemporaines de la venue au monde n'est-elle pas vaine et légère ? Se peut-il vraiment que patriarcat et système médical soient intimement ligués contre les femmes alors que la bonne santé triomphe depuis des décennies ? Lisez Fragiles ou contagieuses, le pouvoir médical et le corps des femmes de Barbara Ehrenreich et Deirdre English.
Ed, le héros est un homme.
C'est lui qui accouche. C'est à dire que dans la pièce, la médicalisation a tellement progressé, qu'on peut porter l'enfant et se le faire sortir du ventre après une anesthésie générale. Passez le rire peu grâcieux mais joyeux de moquerie à l'égard de l'homme chochotte, je suis désolée de dire que je ne vois pas trop où est la clarté féministe dans le texte. Si homme chochotte a mal, ce n'est pas qu'il est faible, c'est que le système rend vulnérable. Vraiment vulnérable. Femmes et hommes plongés dans le même bain. Peut-être Birthday titille maladroitement la question de l'égalité de sexe.
Il me semble même que plutôt que de revendiquer l'égalité entre les sexes (promesse du programme) Birthday dénonce l'aliénation de la femme et de son corps par la médecine et son monde.
Birthday raconte précisément la dépossession totale de l'expérience de l'accouchement, dans le contexte hospitalier industriel :
comment on finit, désactivé.e, dans une sorte de purgatoire, complètement abandonné.e et sans aucun sens de l'action, dans un état psychique « limite ».
Birthday dénonce ce qu'Ivan Illich a très bien décrit dans la Némésis médicale.
Lorsque leur développement dépasse certains seuils critiques, certaines institutions deviennent les principaux obstacles à la réalisation des objectifs qu’elles visent. Cette « contre-productivité paradoxale», version moderne du mythe de la Némésis (déesse grecque de la vengeance), touche également le monde de la médecine. On assiste même à la diminution de la santé des hommes sous l’effet du développement sans fin de l’institution médicale, on constate l’inefficacité globale d’une médecine coûteuse, la perte de la capacité personnelle des individus à s’adapter à des environnements variés et le triomphe mythe de l’immortalité qui conduit au déni de la douleur, du vieillissement et de la mort.
J'adore Ivan Illich. J'adore son livre « la convivialité » et j'adore son livre « une société sans école ». Je pourrai le citer tous les jours à chaque fois que je me mets en colère.
Heureusement, depuis une trentaine d'années, des gynécologues hommes et femmes et des sages femmes militent pour une transformation de ce système et pour des conditions d'enfantement plus douces, plus sereines et plus dignes.
Malheureusement, trop souvent dans le secteur privé ou alternatif:tant et si bien que le désir d'accoucher autrement est injustement assimilé à une mode bourgeoise wellness and co plutôt qu'à un vrai combat social.
Mais des gynéco et sages femmes militantes et informées s'infiltrent aussi dans le système. Ils sont tellement malins et inspirés qu'ils y arrivent très bien.
A Ath, ville qui aime les enfants et a David (contre Goliath) comme héros de Ducasse, il existe une maternité publique qui innove pour des accouchements plus doux et conscients. La maternité publique des 12 Lunes.
C'est une maternité rebelle et pionnière qui lutte depuis 25 ans pour redonner du pouvoir aux parents et à l'enfant : du pouvoir, de la liberté et de la convivialité.
Si tout roule, on peut manger pendant l'accouchement, entièrement mettre en scène et scénographier ce moment, y compris chorégraphiquement.
Je me souviens même que pour mon premier enfant ils m'ont curieusement laissée pousser mes cris rauques de montagne qui s'ouvre dans le couloir et que les visiteurs du jours riaient gentiment de mon état. (ambiance Ducasse quand même...)
Et si ça tourne mal, une équipe médicale reprend les choses en main avec un vocabulaire adapté et étudié.
A Érasme, Anderlecht, ils ont carrément des cours de théâtre pour parler aux parents.
A Érasme, Anderlecht, ils vous laissent aussi le plateau nu. Vous vous occupez vous même de la scéno, de la musique et des éclairages. Les docteurs déboulent seulement en cas de grave problème. Vous restez les auteurs.trices de votre existence. Votre propre vie et votre propre corps ne vous sont pas volés.
Et les hommes aussi peuvent participer, inventer leur nouveau rôle dans l'histoire de la vie. (alley les gars...)
Et je tiens ici à dire à mes sœurs que la question n'est pas péridurale ou pas péridurale. La question n'est pas de mettre le seum comme on le fait parfois à celles et ceux qui n'ont pas réussi à accoucher en moins d'une heure en chantant et en ayant un orgasme en même temps. Soyons unie.es. La question est bien celle de notre pouvoir sur la situation, quelques soient nos choix, besoins, chances, risques et malchances.
Dérivation. J'ai parlé de photocopie d'un instant de ma vie en parlant de Birthday.
C'est bien exact que l'industrie médicale a essayé de transformer ce moment unique dans la vie des mères, des pères et des enfants en un moment identique pour chacune et chacun.
Mais il y a des résistances et des venues au monde poétiques et réinventées. Même par un geste ajouté.
En ce sens, Birthday montre aussi vraiment l'appauvrissement de l' imaginaire de la naissance et notre robotisation.
Je ne sais pas quand Birthday a été écrit mais sur ce point, Birthday me paraît légèrement daté. Nos imaginaires et nos manières de composer nos situations ont bougé récemment. Nous sommes devenus plus originaux et libres et il n'est pas rare de voir des infirmiers.ières organiser clandestinement des moments dansants dans la salle des machines.
Tenez, quelques preuves.
J'ai des amis qui viennent justement d'accueillir leur petit enfant. Je leur rends visite, il y a d'autres amis.es à la maison.
Elle a fabriqué elle-même un panier avec des branches où dort le bébé: une sorte d'oeuf en osier et lin et il s'est levé la nuit pour dessiner une étreinte entre des amoureux.ses de plusieurs mètres de long et de diamètre sur la bâche de la gare du midi en travaux.
Je raconte le spectacle, vu la veille et contre toute attente, chacun se met à raconter « son accouchement », femmes, hommes, ex bébé...
Commence le père de mes enfants, qui a essayé bien des trucs pour aider nos petites à chaque fois un peu coincées et dit volontiers qu'il a l'impression d'avoir accouché. Et l'épreuve était telle pour lui aussi, à voir le sang couler, à me voir possédée, qu'il ne me viendrait pas à l'idée de l'incendier en lui rappelant le contraire.
Il raconte aussi la déco agencée rapido pour le grand moment. Mon tissu préféré sur le lit en plastoc, les colliers de coquillage qu'il s'était mis autour du cou pour accueillir le bébé, nu sous son tablier à carreau préféré par solidarité pour moi et aussi la tartes aux mirabelles cueillies qu'il a fabriquée pour le goûter de 3h du mat', avec les sages femmes.
B raconte comme on l'a disputé, comme on lui a demandé de sortir quand il a blêmi devant la taille de l'aiguille de la péridurale de sa compagne et comme il est revenu, comme il s'est assis derrière elle, l'a enlacée par la taille avant de se mettre à chantonner pour faire venir le bébé pendant qu'on lui criait de ne pas de ne pas.
S. se souvient d'avoir sué des heures durant avec un psychotrope et d'avoir accouché de son propre bras.
C'était extrêmement douloureux et fort mais à la fin, il berçait son bras et c'était merveilleux d'avoir ce membre si précieux qui était là désormais accroché à son coude. Son bras. Son bras. Magnifique. Le plus beau bras.
T. qui n'a pas d'enfant, se souvient aussi d'avoir accouché. Ce n'était pas facile, c'était glissant et serré en même temps, il y avait un passage vraiment difficile. Sa mère a vomi et a failli mourir. C'était vraiment un saut curieux dans un autre monde. Mais il a réussi à sortir et on l'attendait à la sortie. Il dit qu'il s'en souvient vraiment et qu'il peut donc dire : voilà mon accouchement.
Mon amie J, elle, a carrément chié le monde. Ce n'était pas facile non plus mais elle a réussi.
Anna Czapski