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Garcimore est mort

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Garcimore est mortGaël Santisteva

décembre 22





Auteur : Gaël Santisteva
Création & Interprétation : Ondine Cloez, Jani Nuutinen, Gaël Santisteva + 1 invité.e surprise en alternance : Sophia Rodriguez, Micha Goldberg
Conseils artistiques : Lara Barsacq
Création sonore et musicale : Lieven Dousselaere
Création des lumières : Vic Grevendonk
Création des costumes : Sofie Durnez
Création de la scénographie : Jérôme Dupraz, Sofie Durnez, Gaël Santisteva
Administration & production : Myriam Chekhemani
Communication & diffusion : Quentin Legrand / Rue Branly
Production :Gilbert & Stock
Coproduction : Le Manège - scène nationale-Reims, Malraux - scène nationale Chambéry Savoie, Le Théâtre d’Arles, Théâtre de Choisy-le-Roi, Scène conventionnée d'intérêt national - Art et création pour la diversité linguistique, les SUBS, CIRCa pôle National Cirque - Auch (FR), Charleroi danse, UP - Circus & Performing Arts (BE)


















Avec « Garcimore est mort », Gaël Santisteva propose une « fiction ambiguë », une « version augmentée de la réalité », enrobée d’artifices liés au spectacle : applaudissements, rideau, costumes, jingle, chansons… Des codes connus, questionnés, utilisés à rebours, à même de créer « une performance volontairement éloignée des stratagèmes habituels du merveilleux spectaculaire ».

Puis c'est fini

Imagine une cour de récréation sans sol. Un grand trou au milieu. Par miracle, ce vide soutient des pieds. Des pieds prêts à tomber. Au milieu de la cour, les enfants ont besoin de se toucher. De se dire on est copains, copines. Ils ont besoin de se dire. On se lâche pas, hein ? Ça s’effondre mais chantons, dansons en ronde. Ça au moins, on l’aura pas perdu. Puis regarde. Sous ma perruque j’ai perdu des cheveux. Dis. Toi aussi tu connais quelqu’un de mort ?

Ici, arrive un intermède. Arrive un doux fou. Ouf. Celui qui a le droit de dire. J’ai rien à dire, et alors ?

Puis c’est fini. Les comédiens boivent un verre comme quand adolescents, ils étaient déjà ric-rac. Je boirais bien avec eux, moi aussi j’aime les pique-niques. Il faut dire que nos vies semi-riches, elles sont pas si difficiles. On fait du yoga avec des ordinateurs, on renverse le temps, on est plus souples qu’avant, quelle surprise.

Oui, quelle surprise, le temps. Un spectacle, même après avoir eu du succès, disparaît. Alors j’ai dessiné un muet. Parce qu’écrire, c’est avoir quelque chose à dire. C'est devoir avoir quelque chose à dire. J'ai dessiné ce mime photographié par Nadar. Je l’ai dessiné deux fois, en miroir, de part et d'autre du vide. On voit bien qu’il n’est plus si jeune. Que ses sourcils disent. Vous voyez ? Sous mon maquillage, il y a des rides. Je suis du vide qui fait rire. Faire rire, comme le grand écart, c’est pas facile. Faire rire c’est bonbon.

 

Jérôme Poloczek

Ressusciter l'ambiance des émissions de variété des années 80, avec son côté bordélique et semi-improvisé, en réaction à la surenchère toujours plus produite de l'entertainment d'aujourd'hui, avec ses séries surfinancées et surléchées, toujours plus "immersives", peut-être est-ce là faire oeuvre de décroissance sur scène, semblent vouloir nous dire les interprètes de Garcimore est mort.

Que vient-on chercher au théâtre, au cirque ? Que s'attend-t-on à y voir, à y recevoir ? Comme le Garcimore du titre, sorte de vrai-faux magicien télévisuel des années Giscard qui aura marqué les mémoires d'abord par ses ratés et son sens inné du moment mal choisi, rien de plus spectaculaire ici que des petits tours de magie déjà vus mille fois, des tours de pistes interminables ou des faux numéros d'hypnose. Rien si ce n'est une tendresse espiègle mais véritable entre les performeurs et leur public. Car il n'y a aucun second degré dans cette théâtralité du ratage et de la désinvolture, plutôt la grande sincérité d'une sorte de fatigue, ou d'indifférence, à ce qu'il faudrait faire ou montrer pour continuer à (faire) croire au récit du toujours mieux, du toujours renouvelé, du toujours plus contemporain.

Lorsque les lumières tombent sur la fin du spectacle, que les acteurs-danseuses-magiciens finissent leur bière sur des chaises de camping en se racontant leurs rêves, on se prend à regretter de ne pas être allé soi-même choisir une perruque dans la malle à costumes, déconner sur un skateboard ou danser torse nu. Et d'avoir seulement pu regarder le spectacle plutôt que participer à la fête.

Arnaud Timmermans

Est-ce l’aube ou le crépuscule?



Bruxelles, automne 2022. C’est le moment de remettre les vestes. La ville est grise, tiède, à nouveau pleine voire congestionnée. Les trams avancent mollement comme la chaîne des usager.e.s qui se pressent pour aller au boulot puis pour rentrer. On pourrait filmer ce ballet, toujours le même: celui des épaules rentrées, des fronts froissés sur les trottoirs. On se presse à nouveau après le ronronnement caniculaire du dernier été. Moi, je viens d’avoir trente ans, si l’âge augure une décennie pétillante d’après les astres et mon coeur confiant, la transition est rude. Cette semaine, plus que les autres, je me sens morne et fatiguée de zieuter mon futur proche en imaginant de nouvelles options de vie, dessinées à la craie quelque part dans ma tête.

Mais on avait prévu d’aller à L’Atelier 210. C’est toujours sympa ce lieu: au bar devant la salle, tu peux réchauffer tes mains avec un thé vert. Ah, oui…La fumée qui s’échappe des choses brûlantes m’apaise quand il fait un peu plus terne dehors.

Je n’attends rien de Garcimore est mort : ça parle d’un magicien décédé. Bon. Je ne le connaissais pas. Voyons voir.

Je prends un soin particulier- plus que d’habitude- à choisir mon siège. J’avais envie d’être au plus près cette fois, pour une raison inconnue. Je voulais bien voir tous les visages.

On parle argent, franco, cash et c’est tellement peu habituel ici qu’on commence déjà à se marrer. Pourtant ce n’est pas drôle. La culture sous-financée, toujours là à tirer les deux bouts pour les joindre, clairement, ça ne fait pas rire. Mais le ton désinvolte pour parler de ce qui ne l’est pas, lui, est une bonne astuce pour dessiner les premiers sourires.
Je me détends.

C’est un mélange baroque eighties qui explose crescendo sous nos yeux. On croirait parfois des flashs de l’École des fans ou un remake adulte de Bonne nuit les petits. Y a un truc un peu doux-amer dans cette déconnade en huis-clos. J’ai le sentiment d’une fin,, je me retrouve nostalgique de quelque chose que je n’ai même pas encore à l’esprit. Je commence à penser à la mécanique du j’en foutre qui se joue: Qu’en est-il de répéter et structurer les gags qui ont dû fuser un dimanche à faire des crêpes? Comment organise-t-on la spontanéité? S’amusent-iels?

Y a un truc de fin du monde dans ce spectacle: peut-être que c’est pour ça que le titre annonce d’emblée un décès. La magie est-elle morte dans notre monde d’inflation? de capitalisme en robot-tyrex qui brise tout de sa mâchoire métallique ? de bactéries inconnues revenues de la fin des temps pendant que les glaces fondent ? de femmes qu’on continue de brûler dans les rues, avec ou sans voile ? de huit milliards d’humains -pourquoi -faire sous nos satellites militaires ? des écrans qui remplacent les fenêtres ? des immeubles si remplis qu’ils s’effondrent ? des villes qui sentent le goudron en été, coiffées de champignons de poussière ? de haine, de rage et d’ennui dans nos journaux, dans nos discours, dans nos batailles en algorithmes sous des postes virtuels ? des plantes qu’on écrase ? de sexe- swap Tinder ? de cdi-prison mais la prison c’est la sécurité, c’est voir venir tu comprends? et d’oublier tout ça grâce aux micro-doses matin, midi et soir ?

Iels se sont construit un espace cocooning hors du temps et nous considèrent presque comme on se moque d’une caméra cachée derrière un miroir, qu’on aurait découverte. Nous sommes là, public, soit. Interpellés, sollicités presque avec provocation, comme si iels grimaçaient devant le faux-miroir entre nous. Farces et attrapes, a priori légères, jonglent entre les corps nus perchés dans une autre dimension.

Je me pose encore la question du nu sur scène et de sa plus-value: vu qu’un chibre à l’air est moins provocateur qu’un sein qui nourrit, quel est l’intérêt d’exhiber son tire-bouchon sur les planches? Choquer, réduire la distance, inclure ou juste parce qu’on a trop chaud?

Seins, pénis et coupes au bol peroxydés. Rencontres du troisième type sur Zyrion, toustes ensemble. On plane, iels planent, nous planons. Dans ce qui semble pourtant être le croquis de ce qui suit, un effondrement global, une douceur émane. Je ne sais pas d’où elle vient. Des couleurs flashy-pop pourtant fragiles comme des bougies, au plafond ou sur les collants? De cet enchaînement obsolescent d'émotions, d'échanges, d’attrape-moi si tu peux? De ce patchwork, cadavre-exquis de décennies qui coulent, noyé avec l’orchestre qui continue coûte-coûte à jouer ? Quelque chose va nous engloutir, ou l’a déjà fait. Les pensées sur scène sont comme des volutes d’Amnesia.

J’ai ressenti Garcimore comme une ode toute douce à un naufrage collectif. Mais c’est peut-être aussi un mouchoir blanc que l’on agite pour attirer l’attention d’un navire salutaire après l’échouement.

À grands renforts de blagues potaches, Garcimore… fait presque oublier qu’en fait, c’est une pièce triste. Une pièce mélancolique, guettant ce qui n’est plus et qui n’est pas encore à la fois. Un tunnel psychédélique.

 

Raïssa Alingabo Yowali M'bilo


Coup de fouet, rappel au désordre

La décroissance

ce ne sera pas seulement des matériaux naturels

du chanvre du lin des meules de foin

ce sera aussi une malle à costumes, des monocycles, du skateboard, des claquettes et des pompons

des perruques avec quelques nœuds dedans.

Libérés.es de l'avoir

et libérés de l'être ceci cela.

Performant

Le mot performance lui-même sera tabou.

Ou effacé.

Sûrement, on dira magie à la place.

Ou alors performance sera souffler dans un ballon

souffler dans toutes les flûtes

performance sera jouer l'échec.

On imitera la performance, le succès, le star-system en version pétard mouillé

car on aura renversé la boule.

Et Garcimore sera un gai martyr.

On se déguisera en lui

le jour de sa Saint

et on fera tourner les machines qui n'auront plus d'utilité.

Fête des babioles énergivores.

On allumera les panneaux publicitaires

les appareils à raclettes et les bigoudis chauffants.

On fera clignoter toutes les guirlandes avec les machines à bulles.

On fera plein de musique électronique

et des expositions de vieilles télévisions allumées.

On fera décoller et s'écraser un avion pour la Saint-Garcimore.

Finalement, la fête de la télé, dans les années quatre-vingt, c'était déjà le spleen du pétage de plomb

ça sentait la FIN

déjà la fin

ça sentait peut-être encore plus la fin que maintenant

car le plus important, c'est la première fois

comme chantait Blonde Redhead

finalement.

D'où la cold wave.

Ça sentait la fin des utopies écrasées.

Et la fin de la plasticité du réel.

Mais depuis le début, ça sentait la fin.

Je me souviens de Lawrence, dans L'amant de Lady Chatterley, qui ruminait déjà sur l'éloignement du corps des saveurs des sous-bois. 1928, Le bazar indus encore minus.

Maggi. Un souvenir.

Un été au Sénégal.

Les copains de là-bas gagnent un peu d'argent en faisant de la pub pour Maggi.

Les bouillons cubes or.

Ils vont dans la rue avec des micros et des sonos hurlantes

et chantent des éloges improvisés à Maggi.

Ils ont des T-shirts Maggi, des casquettes Maggi, des babouches Maggi.

J'aimerais trop en avoir aussi.

Ils les jettent sur le public, en cadeau.

On fera encore des spectacles

des transes

des cabarets.

Il y aura un portique de costumes pour le public.

Il n'y aura pas de public ni de publicitaires.

Juste des hôtes, des invités.

Parfois on sera même visité à l'intérieur de soi

par Garcimore en personne ou un autre mort.

On aura des drôles de voix.

On sera trois en un comme Sara Selma et Dolorès.

On chantera des pubs comme celle ci par exemple, de Richard Gotainer, une autre figure complexe de la satiété du spectacle.

Tu baguenaudes dans les pâturages
Tu t'en vas te promener, Belle des champs
Qu'il est blanc, qu'il est crémeux ton fromage
Dis, donne-nous-en un peu, Belle des champs

Dis, tu nous en donnes, dis
Oh oui, donne-nous-en
Donne, donne, donne, dis
Belle, Belle des champs

Tu joues de l'échancrure de ton corsage
Des étincelles dans les yeux, Belle des champs

Et on improvisera des pubs en hurlant trop fort dans des micros

pour des produits indus qui n'existeront plus

comme la brioche Pasquier (c'était trop bon)

comme les mars glacés.

On chantera tout court.

Comme cette chanson-ci de Arlt par exemple :

Je suis une vache malade dans un troupeau mourant

quelqu'un sur nos têtes aura jeté un sort.

Très sûrement.

Je suis le sort jeté, je suis le sort lui-même

je suis la bouche

qui l'a

craché,

je suis dans la bouche,

une seule dent.

Il y aura toujours des insomnies

et dans le théâtre des trappes pour jouer avec les rayons et faire des spectacles de soleil dans les cheveux.

Ce que nous rêvons avec la décroissance,

c'est que revienne, de force, l'alternative qu'on a voulu nous voler.

Que le fantôme de certaines utopies prenne vie,

presque tout seul, comme un vieux drap agité.

Il y a un espoir lové dans l'effondrement.

Celui d'une fête à notre petite hauteur.

Celui d'une vie plus simple et amicale.

La magie que tout devienne bien.

Plus facile,

plus sensuel, plus lowfi, plus folk, plus barley.

Oui c'est immoral de le dire parce qu'il y a déjà trop de morts d'un certain côté.

Le rêve que la vie s'améliore juste par la soustraction,

sans qu'on ait eu à tout reconfigurer lutter pour.

Comme au confinement.

Tu te réveilles un matin et les bagnoles ne roulent plus et les écureuils se sont rapprochés.

Juste ramasser les morceaux par terre et bricoler et ce serait bien

Maintenant quand je ne dors plus, je pense au spectacle.

Et aussi à une scène de la Twillight Zone où les personnages ne savent pas qu'ils sont des marionnettes dans un fût et où ils se demandent comment en sortir, du tonneau.

En tant que magicienne, j'aurais aimé qu'on ne soit pas si sûrs, sur scène, de l'inexistence de Dieu.

En tant que punk, j'aurais aimé moins de pop et des bières

et peut-être qu'on aille jusqu'à la panne de courant.

En tant que naturiste, j'aurais aimé qu'on me propose de me déshabiller pour faire du wheeling.

Anna Czapski


Garcimore est mort

Entremêlé entre les perruques rouge, rousse, noir et bleu, collants flashy, on est plongé dans un monde de rire, de dérision et tours de magie ratés.

Je gesticulais, perplexe, mon visage penchait entre un sourire figé puis parfois gêné.

Je suis passée par l’incompréhension d’abord, me demandant ce qui se passait, me disant que le ridicule ne tue pas, que c’est parfois ok de rire de la bêtise.

Rempli de maladresse, dans les gestes et la réalisation, il met en lumière de nombreux codes du spectacle du cirque comme les tours de magie, la musique, les marionnettes, le chant, à se sentir bousculé par l’accumulation d’accessoires.

On s'y reconnaît presque un peu en fait, quand on est passé par là, discuter de tout et de rien avec ses amis, assis au sol, buvant une bière au coucher du soleil, l’air de rien. Rire aux éclats, se racontant des bêtises que personne ne comprend, à part nous. Se taquiner jusqu’à ce qu’il y en ait un qui craque et se demande ce qu’il fait là. Un humour à nous, créé par nous, compris par nous.

Ce que je retiens, c’est que cela parle de la décroissance, de théâtre, de culture.

C’est référencé sur la danse en parlant de Pina Bausch.

Ça parle du monde moderne.

Ça parle du temps, de l’attente.

Ça parle du rapport avec le public qui était franc, direct et vrai, le fait de montrer l’envers du décor et ce que les spectateurs ne sont pas censés voir normalement.

Il met en lumière des problématiques sociétales, parfois économiques.

Je salue cette liberté de dire et de faire, l’ambition de provoquer et affronter les réactions, choses que l’on retrouve rarement dans les pièces.

Ça, c’est ce qui fait que le spectacle était déjanté.

Je me suis interrogée par la suite sur la question de la nudité dans les spectacles vivants. Une nudité imposée et non choisie.

N’étant pas forcément à l’aise de voir des personnes nues tant que je n’en ai pas exprimé l’envie, je me suis alors demandé s’il fallait communiquer sur la nudité lors d’un spectacle. Faut-il avertir les spectateurs que ce qu’ils envisagent de voir contient du nu ?

Selon moi, il aurait été nécessaire de prévenir dans la description.

Ces corps qui se roulaient au sol, faisant de la gymnastique, des roues et des pyramides, gémissant et riant.

En entrant dans la salle, une dame avec son fils âgé entre 3 et 6 ans, demande à l’entrée s’il y aurait des scènes choquantes pour son fils, l’ouvreur ne l’ayant pas encore vu, lui répond qu’il ne le savait pas.

Sur le plancher, seins et pénis, puis j’ai repensé à ce petit garçon. L’utilisation du nu est belle selon moi que quand elle est consentie et prévenue, car elle peut aussi venir heurter nos sensibilités.

À la sortie du spectacle, j’entendais des « hahahhahah ! Mais qu’est-ce qu’on a ri ».

Moi, j’ai ri, oui, avec un « haha » léger.

En fait, j’ai eu le temps de me retrouver seule au milieu du public, d’observer les réactions qu’il y avait eues, rires, long silence, rires, long silence, rires…

des « Hahahahah » et « haha » mélangés.

Marie Paule Mugeni