Coup de fouet, rappel au désordre
La décroissance
ce ne sera pas seulement des matériaux naturels
du chanvre du lin des meules de foin
ce sera aussi une malle à costumes, des monocycles, du skateboard, des claquettes et des pompons
des perruques avec quelques nœuds dedans.
Libérés.es de l'avoir
et libérés de l'être ceci cela.
Performant
Le mot performance lui-même sera tabou.
Ou effacé.
Sûrement, on dira magie à la place.
Ou alors performance sera souffler dans un ballon
souffler dans toutes les flûtes
performance sera jouer l'échec.
On imitera la performance, le succès, le star-system en version pétard mouillé
car on aura renversé la boule.
Et Garcimore sera un gai martyr.
On se déguisera en lui
le jour de sa Saint
et on fera tourner les machines qui n'auront plus d'utilité.
Fête des babioles énergivores.
On allumera les panneaux publicitaires
les appareils à raclettes et les bigoudis chauffants.
On fera clignoter toutes les guirlandes avec les machines à bulles.
On fera plein de musique électronique
et des expositions de vieilles télévisions allumées.
On fera décoller et s'écraser un avion pour la Saint-Garcimore.
Finalement, la fête de la télé, dans les années quatre-vingt, c'était déjà le spleen du pétage de plomb
ça sentait la FIN
déjà la fin
ça sentait peut-être encore plus la fin que maintenant
car le plus important, c'est la première fois
comme chantait Blonde Redhead
finalement.
D'où la cold wave.
Ça sentait la fin des utopies écrasées.
Et la fin de la plasticité du réel.
Mais depuis le début, ça sentait la fin.
Je me souviens de Lawrence, dans L'amant de Lady Chatterley, qui ruminait déjà sur l'éloignement du corps des saveurs des sous-bois. 1928, Le bazar indus encore minus.
Maggi. Un souvenir.
Un été au Sénégal.
Les copains de là-bas gagnent un peu d'argent en faisant de la pub pour Maggi.
Les bouillons cubes or.
Ils vont dans la rue avec des micros et des sonos hurlantes
et chantent des éloges improvisés à Maggi.
Ils ont des T-shirts Maggi, des casquettes Maggi, des babouches Maggi.
J'aimerais trop en avoir aussi.
Ils les jettent sur le public, en cadeau.
On fera encore des spectacles
des transes
des cabarets.
Il y aura un portique de costumes pour le public.
Il n'y aura pas de public ni de publicitaires.
Juste des hôtes, des invités.
Parfois on sera même visité à l'intérieur de soi
par Garcimore en personne ou un autre mort.
On aura des drôles de voix.
On sera trois en un comme Sara Selma et Dolorès.
On chantera des pubs comme celle ci par exemple, de Richard Gotainer, une autre figure complexe de la satiété du spectacle.
Tu baguenaudes dans les pâturages
Tu t'en vas te promener, Belle des champs
Qu'il est blanc, qu'il est crémeux ton fromage
Dis, donne-nous-en un peu, Belle des champs
Dis, tu nous en donnes, dis
Oh oui, donne-nous-en
Donne, donne, donne, dis
Belle, Belle des champs
Tu joues de l'échancrure de ton corsage
Des étincelles dans les yeux, Belle des champs
Et on improvisera des pubs en hurlant trop fort dans des micros
pour des produits indus qui n'existeront plus
comme la brioche Pasquier (c'était trop bon)
comme les mars glacés.
On chantera tout court.
Comme cette chanson-ci de Arlt par exemple :
Je suis une vache malade dans un troupeau mourant
quelqu'un sur nos têtes aura jeté un sort.
Très sûrement.
Je suis le sort jeté, je suis le sort lui-même
je suis la bouche
qui l'a
craché,
je suis dans la bouche,
une seule dent.
Il y aura toujours des insomnies
et dans le théâtre des trappes pour jouer avec les rayons et faire des spectacles de soleil dans les cheveux.
Ce que nous rêvons avec la décroissance,
c'est que revienne, de force, l'alternative qu'on a voulu nous voler.
Que le fantôme de certaines utopies prenne vie,
presque tout seul, comme un vieux drap agité.
Il y a un espoir lové dans l'effondrement.
Celui d'une fête à notre petite hauteur.
Celui d'une vie plus simple et amicale.
La magie que tout devienne bien.
Plus facile,
plus sensuel, plus lowfi, plus folk, plus barley.
Oui c'est immoral de le dire parce qu'il y a déjà trop de morts d'un certain côté.
Le rêve que la vie s'améliore juste par la soustraction,
sans qu'on ait eu à tout reconfigurer lutter pour.
Comme au confinement.
Tu te réveilles un matin et les bagnoles ne roulent plus et les écureuils se sont rapprochés.
Juste ramasser les morceaux par terre et bricoler et ce serait bien
Maintenant quand je ne dors plus, je pense au spectacle.
Et aussi à une scène de la Twillight Zone où les personnages ne savent pas qu'ils sont des marionnettes dans un fût et où ils se demandent comment en sortir, du tonneau.
En tant que magicienne, j'aurais aimé qu'on ne soit pas si sûrs, sur scène, de l'inexistence de Dieu.
En tant que punk, j'aurais aimé moins de pop et des bières
et peut-être qu'on aille jusqu'à la panne de courant.
En tant que naturiste, j'aurais aimé qu'on me propose de me déshabiller pour faire du wheeling.
Anna Czapski