Après que ce soit arrivé, comme un réflexe j’ai appelé ma mère. Elle était en colère et triste.
Mais pas comme moi.
Une fois rentré chez moi, j’en ai parlé à ma coloc, elle était triste et désolée.
Mais pas comme moi.
Moi, à partir de ce moment j’ai pas arrêter d’avoir envie de crier.
J’ai pas arrêté d’avoir envie de brûler des trucs.
J’ai pas arrêté d’avoir peur.
J’ai pas arrêté de me dégoûter d’avoir peur.
J’ai pas arrêté d’être docile.
J’ai pas arrêté d’assimiler.
J’ai pas arrêté de me mettre en sécurité.
J’ai pas arrêté de dissocier.
J’ai pas arrêté d’être déshumanisé.
J’ai pas arrêté de penser le système.
J’ai pas arrêté de haïr la police.
J’ai pas envie d’arrêter de haïr la police.
À partir de ce moment, plus qu’avant encore j’ai envie d’arrêter la police.
Tu sais pas ce que c’est qu’un contrôle au faciès tant que tu l’as pas vécu. Probablement tu sauras jamais.
J’ai envie de te souhaiter de jamais le vivre et en même temps ce soir je veux que tu comprennes.
Non, t’as pas compris.
J’ai pas envie que tu comprennes, j’ai envie que tu sentes. Que tu écoutes dans ton corps c’est quoi. Ce mélange d’humiliation, de haine, de douleur, de rancoeur, de tristesse, de douceur, de beauté, de joie, de fierté, de force que c’est d’être un homme noir trans.
Je veux que tu écoutes. Que tu voies et que tu sentes pourquoi les jours de manifs et tous les jours où la police résonne dans la rue moi et mes potes, moi et mes adelphes, moi et plein d’autres, moi et probablement tan voisin·e, pourquoi nous on souffle ACAB.
Je veux que tu écoutes. Que tu voies, que tu sentes pourquoi tant qu’il y aura des keufs, il y aura des mort·es. Je veux que tu écoutes. Que tu voies et que tu sentes pourquoi ton identité est aussi politique. Pourquoi elle a un rôle à jouer dans le système. Que tu écoutes, que tu vois et que sentes que si tu décides pas, c’est cell·eux qui se donnent le droit de punir, de blesser et de tuer qui décideront le rôle que tu as. Je veux que tu écoutes, que te vois et que tu sentes pourquoi c’est nécessaire qu’on devienne des allié·es.
Tu sais pas ce que c’est qu’un contrôle au faciès tant que tu l’as pas vécu. Probablement tu sauras jamais.
Mais ce soir si t’es d’accord j’aimerai bien que tu ressentes avec moi un tout petit peu de ce qui se passe quand on est pas toi.
Have a Safe Travel est une pièce issue de De Caelo, une technique inclusive de danse d’improvisation que je crée en 2020. De Caelo ne hiérarchise aucun style, aucun rythme, aucune qualité de mouvement, aucune référence, aucun type de corps. Seule compte la justesse de l’émotion que ce dernier transmet au public.
L’outil qui me permettant de faire le liant entre mental, corps et émotion est l’astrologie. A mon sens cette discipline peut se mettre au service de la connaissance et du développement d’une personnalité. Si elle décèle certaines dynamiques « innées » vers lesquelles nous sommes prédisposé·es à tendre, elles ne sont en rien déterminantes. Au contraire, connaître nos prédispositions, reconnaître et savoir formuler nos émotions, nos intuitions et nos instincts, nous offre le choix de les fonder ou non. De fait, le déterminisme qui a souvent été prêté à l’astrologie laisse place dans mon travail au concept du libre arbitre, au processus de reconnaissance, de valorisation et de réappropriation nos savoirs, de nos histoires et de notre Histoire.
De Caelo s’inscrit dans une démarche politique de restitution de dignité aux corps qui en sont privés et aux émotions et savoirs qui ont été lésées. Elle apprend la porosité de la sensation des corps, l’émotion des coeurs et l’intelligence des têtes. Restaurant et aiguisant notre capacité d’empathie qui, pour moi, est l’une des clés principales du progrès social.
Have a safe travel
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Have a safe travel
Chorégraphie, dramaturgie, interprétation, concept : Eli Mathieu-Bustos
Création lumière : Maureen Béguin
Création sonore : Loucka Fiagan
Production : AnAku
Soutien : Mestizo Arts Platform – WIPCOOP (Be), KVS (Bruxelles, Be), La Bellone (Bruxelles, Be), Be My Guest – International Network for Emerging Practices, Kaaitheater (Bruxelles, Be), la Balsamine (Bruxelles, Be), DeSingel (Anvers, Be), AnAku, Kunstencentrum BUDA (Courtrai, Be) avec le Almost summer|Feminist Futures Festival, Belluard Bollwerk festival (Fribourg, Ch), Short Theatre Festival (Rome, It)
Regards extérieurs : Daniel Blanga Gubbay, Eric Cyuzuzo Niyobisi, Maria Dogahe, Ennassouh, Jazz Guyot, Aleksandra Janeva Imfeld, Brandon Kano Butare, Lucas Katangila, Krystel Khoury, Ana Kuch, Soto Labor, Sophie Sénécaut, Liza Siche-Jouan, Milø Slayers, Marie Umuhoza
Sans chaussure
Eli Mathieu-Bustos porte un short noir, torse nu
Sans chaussure.
...
C’est pas tout de suite que je le vois car
tout est éteint sur la scène,
longtemps, plus que les débuts des autres pièces que j’ai déjà vues.
Il paraît qu’à la première, il y a eu des problèmes techniques
Croisement noué et serré des doigts dans le dos, pour porter chance.
Flash
- ouf c’est bon, c’est parti! -
Le visage d’Eli apparaît dans une lumière orangée, à jardin
Saisi dans un mouvement d’avancée
Il vient de loin
De l’autre côté du mur
C’est son pouvoir de les traverser?
Retour au rideau d’obscurité du commencement
J’y vois plus rien, à nouveau, c’est trop bref!
Est-ce que j’ai rêvé?
J’entends du silence, à l’intérieur.
Un autre faisceau, rapproché cette fois
Accélération de mon rythme cardiaque - sans doute parce qu’il ne se passe que quelques secondes entre les deux éclairs et que les mots s’étalent trop, pour suivre la pulsation des ouvertures.
Lumière latérale stridente, sur le flanc d’Eli, en plein dans le mille de son extension vers la carte du ciel et ses astres.
Tiens, c’est lequel qu’il appelle?
Nouvelle chute d’électricité, lancée depuis la régie, en quelques secondes.
Et dans l’interstice, les ombres se glissent, en masse, venu·e·s pour l’occasion, les camarades, les ancêtres et aussi les plantes vivaces
Qui s’agitent à chaque coup de talon d’Eli sur le sol, carnaval puissant, torsion des corps et mandibules aux sons des hélicoptères - dans les enceintes -
Qui traquent, obsédants
Un spot s’allume à la face
Je sursaute,
C’est tout proche, d’un coup!
Je continue à suivre le même fil
les yeux clignotants, pour ajuster le focus
sur les gestes d’Eli, et leurs échos ondes
Dans l’espace autour et pas que, plus loin aussi derrière le gradin, le clapotis des invisibles martèlent le seuil de l’entrée.
Pas moyen de savoir, combien
Qui
Quoi
Eli est venu en bande
peut-être même en gang, étendre de la douceur, inattendue, au bord de ce qui, pourtant, gronde.
Et rage.
Toutes les particules de l’air ambiant frétillent, aux aguets,
Comme une nuit d’orage avec la lune pleine.
Poreux.
Spongieux
Le vent s’enroulant dans les jeunes pousses vertes translucides, du bout des sapins, les vieilles aiguilles tombées au sol, elles, réconfortant les pattes des biches apeurées.
J’ai l’empathie gonflée, la peau à vif, les va-et-vient de l’eau dans les tissus maigres, accélérés, le cerveau reptilien qui baigne dans des courants nerveux.
Vigilance obligée.
(Eli a convoqué la lune, non? Et s’est glissé dans son halo? Est-ce que c’est des brises secrètes de remise en question qui soufflent dans ma nuque? Qui me grattent l’épiderme?)
...
Un peu plus tard,
Dans un plein feux, large et plutôt pâle,
Eli apparait, d’un bloc
sorti de la nuit,
accompagné de filaments invisibles alliés.
Campé.
Jambes dégagées.
Pied nus.
Voix.
Profonde et large.
Mots informatifs,
De ce qui a eu lieu, dans le train.
Lancé de la face droite de l’orbite plateau.
Tout est amical, au départ
Je crois même, à moins que ce soit une distorsion de mes neurones à la réception du mot « Suisse », que les montagnes alpines sont évoquées, en décor de fond, à travers la vitre, qui défilent
- Activation intérieure immédiate de couleurs clichés idylliques, canal direct from l’enfance.
Carte postale graisseuse d’une edelweiss pure sur le mur de la cuisine froide de la grand-mère, en dessous du poste de radio, placé en hauteur, mystérieux dialogue avec une fissure murale, juste à côté, et humide, passé familial dégorgé le plâtre se pète la gueule, le lierre y pousse, les moisissures aussi et cultivent les cicatrices -
Subitement, retour fulgurant sur mon siège,
extension du pavillon auriculaire, zoom sur les silences d’Eli
Et ses respirations
C’est marée montante
- Je ne sais rien du spectacle j’en ai rien lu avant -.
Coexistence d’un sourire, sur ses lèvres
et d’un râle, souterrain
qui arrive, surgit de la mémoire,
vive et intacte, débordante
comme si c’était hier.
Foule de détails,
J’en rajoute dans ma tête, complète le tableau, mélange.
Tout pue la violence
Ici
Le ressac du souffle d'Eli qui se frappe au réel,
Arrivée des flics, au bout du compartiment,
chaussés,
lacets et boucles, serrés à bloc.
...
Eli porte un short noir, torse nu
Sans chaussure.
Avant d’atteindre la taille d’1 mètre, pour deviner par anticipation à qui j’avais à faire,
je pratiquais la lecture fouillée des pieds habillés (comme on lirait dans les cartes)
de chaussettes, chaussons, bas nylon, sabots
et surtout, chaussures
en cuir, toile, tressées, mocassins, synthétique, à talons aiguille, à tirette, bottes, pointues
ou rondes
un peu comme si, au final, j’avais plus confiance dans ce langage
(parce que je me disais que les godasses finissent toujours par échapper au contrôle, commettre une erreur, révéler ce qui se cache, avec un peu de patience et d’observation intuitive!)
que dans celui des yeux, miroir menteur de l’âme.
(mais pas celles des dominants, entrainées et ciselées pour l’oppression des corps dissidents; j’ai entendu le son du cuir ciré chaque matin, depuis des générations; Rituel de la violence organisée, en groupe, semelle tendue)
Eli, au sol,
Son visage projeté en gros plan sur le mur du fond
L’odeur des chaussures graissées, envahit
Talonnette qui rythme
Distorsion de sa bouche, de son dos,
Précision de la pointe du soulier, aiguisée,
rien ne se perd, la combat-shoe transforme!
Le ciel répond, vif, en cascade
Une éruption solaire se déclenche à la surface de la lune, complice libération de gaz et d’électrons
Le champ magnétique de la terre explose, surchargé
fait plus son job,
plus moyen de dévier les particules vers les pôles pour encore jouer le jeu de l’aurore boréale
Un orage magnétique explose, sanglant
Et plante des lames dans les boots
Les réseaux électriques pètent.
Black-out sur la terre.
...
Eli portait un short noir, torse nu
Sans chaussure.
...
Le performer virtuose Eli Mathieu Bustos présente dans sa performance Have a safe travel, l’humiliation et la violence d’un contrôle au faciès durant un voyage. Il a invoqué la lecture du ciel pour développer sa chorégraphie à partir d’une technique d’écriture qu’il a conçu le Caelo. Et c’est à partir du contrôle policier, scène devenue si commune, qu’il déploie sa présence si puissante et singulière.
C’est un exercice compliqué que de mettre des mots sur une performance qui mêle si intensément émotion et engagement. Eli laisse ses empreintes sur le plateau et nos rétines.
Il apparaît de manière évidente là où on ne l’attend pas, et sa présence occupe tout l’espace.
Eli existe sous nos yeux puissamment et délicatement. On le voit prendre son envol et on l’observe de nos sièges nous survoler avec grâce et bienveillance. Et puis on plonge vertigineusement avec lui dans les entrailles de sa réalité, dans ses luttes quotidiennes faites d’humiliations, de provocations et de mépris pour ce qu’il est. Les murs se resserrent et l’oxygène vient à manquer. On est violemment projeté avec lui contre l’injustice en uniforme. On le sait, on n’y a jamais cru, mais certaines expériences rendent ce constat implacable. Eli a le tort d’avoir voulu voyager, on lui intime d’exister le moins possible. Mais il défie la gravité et reprend sa lévitation.
En sortant, je lui fus infiniment reconnaissant de jeter ses grains de sable dans les rouages de la xénophobie systémique. Et puis un peu plus tard, les questions se bousculent. J’essaie de trouver des repères politiques et historiques. Je repense à ce que j’avais lu de l’utopie éphémère qui devint réelle et fonctionnelle à Barcelone à l’été 36 durant lequel il n’y eut plus d’oppression, plus d’inégalités, plus d’intolérance. Les minorités opprimées se partageaient égalitairement le pouvoir et les responsabilités, et les idéaux fleurissaient.
La société fonctionnait politiquement et économiquement sans inégalités et sans police. Ce fut beau mais sauvagement stoppé dans le sang quelques semaines plus tard. C’est ce qui m’est venu sur la route de retour. J’ai eu envie de partir du courage d’Eli pour gratter la terre et aller chercher les racines de ces idéaux enterrés vivants.
Vulcain (Le papillon)
Le théâtre, je n’y connais rien, ce n’est pas ma culture et je n’ai pas les codes. J’y vais pourtant, de temps à autre – au spectacle. En général, on m’invite et je m’y laisse emmener. Sans résistance ni curiosité particulière. Il n’empêche qu’à la sortie, souvent, je me demande si j’ai tout à fait bien compris ce qu’on a voulu me raconter. Bref, préambule – comme il se doit, pour dire comment pourquoi et qui. Voila. Moi, à la Balsamine ce soir-là. De confiance. Et plutôt volontiers. Mais sans rien savoir du tout de ce que je vais voir. Pas même le titre de la pièce, ni le nom de l'auteur – dont j'ignore qu'il en est aussi l'interprête : narrateur et personnage.
Mon regard radar alentour sur les gens qui sont là me donne un indice. C’est un spectacle queer ? Je demande à la meuf qui a payé ma place à qui j’ai payé sa bière ; elle acquiesce.
On est devant – deux ou troisième rang. Ca commence. Première image.
En l'absence d'indices qui imposerait de nouer d'emblée ce qu'on appelle en littérature “le pacte autobiographique” (le lecteur pourra chicaner sur la ressemblance mais pas sur l'identité, écrit le théoricien Philippe Lejeune), c'est par défaut dans l'idée d'une fiction que je m'installe. Et ce premier personnage, agenouillé, peau Noire, torse-poil, dans un short Adidas, je l'envisage féminin car immédiatement, je pense au corps de Rebecca Chaillon – qui savonne le sol à genoux, seau d’eau et serpillère, au début de Carte Noire puis détergent à même la peau frotte, tandis que celui-ci danse bravado, m'évoquant des multitudes. Je pense à toutes ces intimités/extimités Noires qui montent sur des scènes et se refondent ensemble dans une histoire il me semble commune quoique distincte, bien sûr – une refonte des corps comme on le dit du métal dans ma tête, reconvoqués par celui-ci.
Je ne sais pas pourquoi je pense à une forge. Une vieille usine de tôle, de braise et de coulée. Je ne me souviens pas du tout des bruits ni des sons – de cette musique qui ne me parle pas. La lumière était dorée, je crois. Or ou ocre, non ? En faisceau, comme des couloirs à traverser dans le sens de la largeur.
Quel regard est souhaité ? Je ne m’en sors pas de cette question. J’ai absolument conscience de ne pas savoir comment regarder bien ce qui se passe, mais j’essaie. Il faudrait arrêter de réfléchir, c’est de la danse je me dis, et juste se laisser faire, peut-être, sans articuler mentalement de pensées.
Quels regards cherche-t-on à provoquer en moi ? Je ne sais pas. Mais c'est plein de pièges historiques, les pensées qui me viennent. J’essaie donc à toute force de faire le silence intérieur, et parfois j’y arrive presque.
Quand soudain il s’immobilise et, se tenant là debout, il se met à parler – je ne m’y attendais pas, ni qu’il parle, ni qu’en parlant, il déjoue toute ma construction narrative. Il y a des claquements de doigts dans le public – d’approbation, car il raconte le « Monsieur » de la fleuriste et qu’il en conclut à la preuve d’un passing réussi. Je souris d'être ainsi remise à ma place, sans qu’il ne me vienne du tout à l’esprit que ce coup de théâtre ne peut avoir lieu que si le public est totalement inaverti. C'est seulement maintenant que je me pose la question : suis-je la seule personne dans cette salle à avoir profité des effets de la surprise ? – et reçu frontal l'impact du retournement qu'il produit ?
Toute l'histoire de la représentation des identités trans, on le sait, fut celle d'une usurpation par des interprètes cis – or ce qu'il y a d'hyper puissant dans la survenue tardive du pacte qu'enfin le performeur établit à ce moment-là, c'est précisément qu'elle témoignage a posteriori d'une réappropriation pleine et totale de l'ensemble des capacités de représentation fictionnelle (cis ET trans) par un corps trans.
Voix off : j'espère ne pas trahir votre voyage en tentant de relater fidèlement le mien.
Après, je ne sais plus rien de ce spectacle – il y a le récit du contrôle des flics dans le train, puis (si j’ose dire) Black out. Car une seule séquence a pris toute la place, en mémoire (in memoriam), il ne me reste finalement plus que ce gros plan sur écran d’un visage à l’agonie. Faut-il toujours une caméra – sur le réel, sur la fiction, sur soi ? Die, you’re on camera !
J’étais dans un tel souci de faire correctement et jusqu’au bout mon taf de spectatrice que j’ai consenti sans rechigner au voyeurisme empathique et vain que le dispositif smartphone, il me semble, imposait. Trop tard maintenant ! J'ai regardé cet homme mourir et je n'ai pas bougé.
Faut-il vraiment mettre en spectacle l’impuissance collective face aux meurtres d’Etat ? j’ai pensé en sortant – quand l’urgence au contraire serait plutôt d’activer, de manière effective et concrète, nos puissances d’agir contre. La question pour moi s’est posée. Elle demeure.
Une Salve-atelier ?
Pour la première fois, la salve de texte que vous lirez ici n’est pas le fait des membres habituel·les de la Salve. Les critiques que vous allez lire sont issues d’un atelier pratique mené par Anna Czapski et Raïssa Yowali M’bilo autour du spectacle Have a safe travel d’Eli Mathieu Bustos, dans le cadre du festival Vitamines B organisé à la Bellone du 16 au 19 avril 2024.
Ces ateliers ont été imaginés au sein de la Salve dans le but de faire la preuve par l’exemple que l’exercice de la critique, et plus précisément de la criticalité telle que la Salve essaie de la pratiquer, est appropriable par tous·tes moyennant une “mise en condition” du regard et de l’écriture, qui se distancie des canons habituels de la critique écrite (évaluation, autorité, expertise ou érudition,...), pour laisser la place aux zones critiques propres à chacun·e, c’est-à-dire : aux points de concernement qui sont activés en nous, chaque fois singulièrement, par une proposition artistique et/ou scénique.
L’invitation adressée aux futur·es participant·es de l’atelier était la suivante :
Nous, Raïssa et Anna, sommes membres de La Salve, un projet d’expérimentation critique initié par Mylène Lauzon à La Bellone. Là, on s’y amuse à croiser les regards pour créer un ovni critique entre des praticien·nes des arts de la scène, des auteur·rices, des lecteur·rices, des spectateur·rices qui vont voir un spectacle ensemble et écrivent chacun·e un texte à la suite de cette sortie.
Ce qu’on te propose, c’est de venir essayer lors d’un atelier de plusieurs jours du 16 au 19 avril, de tenter l’exercice à 8, autour du spectacle d’Eli Mathieu Bustos « Have a safe travel » qu'on ira voir ensemble. Pendant trois jours, l’idée est de penser la critique et réfléchir ensemble à cette pratique à travers des échanges et différents exercices. Pour faire écho, créer du collectif et des liens, pour tenter une relance, un geste de réciprocité à la hauteur des engagements des créateur·rices, sans s’épargner la sincérité d’un rapport affectif à l'écriture.
Les inscriptions se font sur brève candidature. Il n’est pas nécessaire d’avoir déjà une pratique de la critique ou de l’écriture, juste l’envie d’être là. Pour autant, l’atelier est aussi ouvert à des critiques qui voudraient venir puiser un souffle différent par rapport à des formats plus habituels. Notre envie est de parvenir à un groupe le plus diversifié possible. Toute forme de poésie est la bienvenue.
Pour des raisons de disponibilité concrète, l’organisation de l’atelier a été repensée en cours de route et s’est finalement déroulée sur une session unique avant écriture et co-édition, chaque participant·e recevant un retour sur son texte d’une autre personne et réciproquement.
Transgremotion
Ferme les yeux et vois le corps d’Eli traverser le nu du plateau.
Autour de lui, les dessins métaphoriques de la lumière, un espace simple mais multiple.
Autour de moi des gens, une micro-société de spectateurs·ices tournés vers le même corps.
Corps à charge émotionnelle dont émergent des choses que je n’ai jamais ressenties.
Ferme les yeux et entend le souffle d'Eli qui traverse la salle. On a l’impression qu'il essaie de s’échapper de son corps, du plateau, de la Balsamine, de Brussels, de la terre pour finir dans les étoiles.
En fait on a l’impression qu’il s’est déjà échappé loin de notre espace de perception.
Et pourtant il est là, autour de nous, au creux de l’oreille. Il marque un temps incertain, une arythmie qui contraste avec la précision des gestes, du récit, des émotions.
Alors je repense aux mots qui me sont venus dehors : des espaces, un souffle, corps. Et je me dis que c’est un espace de représentation que nous avons tous. Et en nous, à chaque instant, il y a ces outils pour exprimer, vivre et revivre ce qui nous a fait bouger.
“C’est transgressif !” entendu en sortant de la salle.
C’est resté longtemps en moi. Est-ce qu'Eli transgresse ?
Transgression : passer par-dessus (les lois, l’ordre…). Eli, profondément ancré dans le sol, pieds nus, ne semble pas passer au-dessus. Si les astres sont l’immensité qui nous surplombe, Eli les convoque au plateau, les ramène sur terre. Tout est posé là. Il impose que c’est l’ordre lui-même qui transgresse.
Ancrage face à une violence systémique qui passe au-dessus, autour de lui dans le noir. Parfois projetée sur le sol, lumière bleue sur laquelle il danse. Il navigue dans l’espace du plateau avec un corps émotionnel : violence, espoir, colère. Navigue entre les espaces visibles et invisibles et la distance qui peut séparer deux astres. Des espaces innombrables qui s’articulent autour d’un corps unique rendu multiple par son propos. Autour de lui, filent les métaphores lumineuses. Dans ses yeux dansent les étoiles. La lumière est l’émotion froide d’un système froid. Mais en lui, l’émotion transgresse. Le suffixe trans- signifie “traverser”. Alors je pense au fait qu’Eli traverse des états mais aussi des situations, des espaces, il traverse la lumière.
Son bras droit bouge, frôle sa cuisse levée près de son front pendant que sa colonne se courbe en forme convexe en direction du sol. Souffle. Sa nuque redresse sa tête qui chute en arrière. Souffle. Sa poitrine bouge, une vague de force fait trembler son ventre. Souffle. Ses épaules se baissent, son pied nu frappe le sol. Tout s’arrête. Souffle.
Il parle. “Violence systémique. Montrer ce que ça peut faire dans le corps”, les mots d'Eli dans une interview. Quel corps pour quel espace ? Parce que c’est aussi ça la violence : les corps privés d’espaces de représentation, l’émotion privée de support. Mais voilà qu’il s’en crée. Et finalement je dirai que s'il devait y avoir un fin mot ce ne serait pas à moi de le prononcer.
Ce qu'on appelle la paix c'est se taire
Texte lu à l'issue de la représentation du 19 avril 2024 à la Balsamine, en coprésentation avec la Bellone dans le cadre du festival Vitamines B.
Bonsoir voici Vitamine Raïssa et je suis vitamine Anna.
Anna : Nous allons lire et dire en rebond. Ce qui chez nous a été bougé, remué, désaxé après le spectacle Have a safe travel.
Raïssa : Merci Eli Matthieu-Bustos
Anna : Merci Eli
Raïssa : Nous on fait partie de La Salve, c’est un projet de déconstruction critique, c’est à dire qu’elle l’interroge. On est 7, on va voir une pièce ensemble puis nos textes sont publiés ensemble pour croiser les regards.
Anna : C’est un projet de la Bellone initié par la fée Lauzon immense vitamine mais aussi long et prolongé pshiit of Love.
Raïssa : Aujourd’hui Anna et moi on a écrit un peu en prémisse de l’atelier de jeudi prochain : un atelier d’échange, de réflexion et d’écriture autour de la pièce d’Eli.
Les textes seront publiés en ligne en même temps comme une constellation, ce sera une sorte d’édition spéciale de La Salve d’Avril.
Anna : Ça commence…
Bon…
Ce n’est pas un spectacle après lequel on rentre chez soi comme si de rien n’était.
Pour commencer je suis triste. Très très très triste. Je n’ai d’ailleurs pas hyper envie d’expression personnelle. Ce qui chez moi a été dégommé, je vais le dire mais j’éprouve le besoin qu’on garde encore un peu le silence du spectacle.
J’ai envie de rester encore un peu dans le silence d’Eli, avec lui.
Pas longtemps… juste un peu encore… et avec tous·tes
Alors je vais allumer une bougie et je propose qu’on garde le silence un moment tous·tes ensemble.
On peut se serrer un peu.
…
Anna : La tristesse que je ressens m’oblige.
Je sens qu’elle va devenir de l’action dans les semaines, dans les mois, dans les années qui viennent.
Ça va Raïssa ?
Raïssa : Ça va. J’ai une tendance à la distance, je ne choisis même plus quand, je crois que c’est automatique : mettre à distance, ça protège. Je regarde ça comme “qu’est-ce qui m’est proposé ?” ; “ de quoi on me parle” et je me concentre sur l’objectivité…l’illusion de se préserver d’une certaine façon. Si on creuse, si je décortique, je sais comment ça va se passer, je sortirai d’ici en me disant que tout est merdique et j’aurai pas envie de vivre ici. Là n’est donc pas le sujet.
Je me dis ok, ça parle des corps qu’on veut contrôler, des corps qui dérangent.
Toujours les mêmes. Y a toujours une idée du soupçon, de la menace. Que ce soit des corps trans, des corps de femmes cis, des corps racisés, des corps sans papiers. On fait comme si, mais on vit dans ces frontières invisibles. Nous aussi on a nos checkpoints aux frontières et dans la rue.
Le contrôle est permanent : si on contrôle les stibards, ce n’est pas pour rien. On contrôle les pauvres. Tu fraudes pas pour le plaisir.
Aux frontières ; on contrôle les papiers, ‘fin l’absence de papiers
Et ici, quand on pense qu’être citoyen·ne suffit, en fait, ça ne suffit pas. Ça veut dire quoi citoyen·ne? C’est pour qui être citoyen·ne?
Anna : Je peux te demander si tu as des expériences similaires ?
Raïssa : Non. Faut être honnête, non. Je suis une femme cis, blonde de cheveux. Je m’habille bobo, mon corps dérange autrement. A priori, il a l’air inoffensif, il se coule dans certains codes alors ça passe je suppose, à certains endroits. On ne représente pas toustes des menaces similaires pour leur ordre tu sais. Mais qui décide ce qui est menaçant ? On sait au fond, mais ça reste impalpable : le ils.
Bon après, ça ne m’empêche pas du tout de stresser en passant un portique de magasin.
C’est automatique, si ça sonne, je stresse, je me retourne, j’attends ou ralentis, je me dis que détaler ça susciterait le soupçon. J’ai remarqué que tout le monde ne faisait pas ça. Y a des gens même quand ça sonne de leur faute, à la rigueur ils regardent les gens du magasin d’un air sombre, parce que ça semble évident pour elleux — pour tout le monde, que c’est la machine qui aurait un problème. Evidemment, what else ?
Là je te parle de soupçon intégré, de montrer que je suis bien, que je fais pas de vague, que je suis honnête, que j’ai rien à me reprocher. N’avoir rien à se reprocher et vouloir le montrer à tout prix.
Pourtant, parfois je peux pas juste me contenter d’obéir. J’ai comme un corps lesbien insolent et je sais que parfois, y a des homme cis plus âgés qui veulent indiquer à ce corps de rester à sa place. En juin dernier, je suivais une formation Actiris et dans le groupe y avait un tonton. Dès le départ, il m’a prise en grippe, dès le départ je l’agaçais. C’est quoi ? ma fausse assurance, ma façon de parler qui lui a fait dire “t’es “africaine” mais un peu blanche toi”. Son hostilité était palpable, l’air de la classe irrespirable. On était au même niveau- deux chômeurs en formation mais il voulait pas que je parle, que je donne des idées, que je prenne de la place. C’était insolent pour lui que je prenne ma place. Un jour, il a explosé “quand je te dis de te taire, tu te tais”. J’ai résisté fébrilement : tu ne me dis pas de me taire, ça sonnait minablement tremblant, j’étais vidée. Mais ta gueule, voilà ce qu’on nous dit constamment. Je sais pas si le fait d’être d’une même communauté, afro, ça jouait. Faut pas me faire dire ce que je n’ai pas dit : les hommes de ma communauté ne sont pas plus sexistes que les autres. Ils le sont tous, même sous des dehors bienveillants. Je pense juste qu’un homme blanc plus âgé, se sent moins rapidement menacé par moi, trop sûr de son triple pouvoir sur moi. Ce tonton et moi on était dans le même bateau, c’était insupportable sûrement ; il n’avait plus que sexisme à m’opposer pour garder sa virilité, sa contenance, ou je ne sais quoi. En tout cas, on pouvait pas être au même niveau. Je crois que j’étais aussi un corps trop lesbien, pas assez minaudant. Minauder, c’est une forme de séduction – peut-être inconsciente – pour se préserver. Une manière d’endormir l’autre pour qu’il ne cogne pas ? Je ne sais pas. Je sais juste que l’autre femme noire – enfin elle était métisse – elle avait tout de la vraie femme cis, maquillée, fringues moulantes etc., et elle, il lui portrait un autre regard : pas hostile, en appétit. Je sais pas si c’est mieux.
Moi c’est à ça que ça me ramène, un mot que j’ai entendu lors de la conversation après le spectacle – docilité.
Anna : J’ai une anecdote à l’envers. A l’envers de toi. Enfin qui a l’air à l’envers mais qui est reliée délicatement et que le spectacle a faite remonter. Bon, ce n’est pas une histoire où j’ai senti qu’on voulait me tuer moi spécialement… mon corps... c’est juste une histoire d’effacement.
C’est une histoire où j’ai fait quelque chose, dans mon apparence et avec mon corps et où les hommes m’ont kiffée n’importe comment…
J’ai 27 ans. Je ne suis pas du tout dans la séduction d’habitude. Je trouve que cela rend vulnérable, ça chatouille mon orgueil de pauvre.
Mon truc c’est la réussite scolaire, professionnelle et la politique car fille de Jadwiga infirmière à Warszawa devenue femme de ménage à Dunkerque. Avec Andrzej, iels ramasse des champignons pour tenir. Iels font pousser des melons sur la paille. Iels font fermenter de la choucroute à température idéale, dans un grand seau, sous l’escalier au milieu des pantoufles.
Ce jour-là… il fait beau à Dunkerque.
J’ai mis une robe rouge courte et je suis bras nus. J’ai mis du vernis rouge sur mes doigts de pieds et des sandales rouges à talon.
Ce jour-là, je suis rousse, je me promène à talon rouge avec du vernis rouge.
Et il se passe quelque chose d’inhabituel.
Je pense que je ressemble par hasard et de loin, à un mirage de l’inconscient collectif.
Les hommes me regardent.
Les tuiles cessent d’être posées, les vitres cessent d’être lavées, les ordinateurs cessent d’être tapés.
Je passe. Les routes cessent d’être bitumées. Je passe.
Je jette mes yeux dans les yeux des hommes les plus proches pour comprendre.
Difficile à lire dedans. Pas d’admiration, pas de respect. Un envoûtement éclair. Comme si j’étais devenue Jedi télépathe en testostérone et qu’il y avait un dérèglement dans l’air.
Me voilà pendant dix minutes de ma vie attirante comme une pastèque.
C’est gênant mais c’est dingue. C’est le contraire d’être l’homme invisible. Et en même temps. C’est la vrai moi invisible. Le masque.
Ça me fait du bien, pendant dix minutes et puis ça m’oppresse.
Je me sens comme une conne qu’on forme transformée en appât. Un vers nu avec une plume.
Hors de question que je persévère là-dedans. Hors de question que je prenne les hommes pour des cons. Enfin pour des bites. Frères d’armes sinon rien.
Il a fallu 20 ans pour que je revisite ce souvenir.
Le spectacle d’Eli a ce pouvoir.
Te faire rembobiner. Te montrer ce que tu n’avais pas vu en arrière, dans le passé, il y trente ans ou la semaine dernière. Comme on assujettit.
Moi je n’avais pas vu, pas senti, pas compris que nous n’étions ni vraiment en paix ni vraiment en liberté... C’est un fait que je frôlais. Ce n’est pas que le spectacle m’a fait changer d’avis. Le spectacle m’a changée.
C’est un effet Stargate. Tu regardes le spectacle d’Eli et tu atterris ou tu te réveilles dans une nouvelle dimension.
Ce que nous appelons la paix est un gros bâillon sur les corps et sur la bouche.
Ce qu’on appelle la paix c’est se taire, dire pardon, se laisser dissoudre.
La rue est saturée d’empêchement. Le théâtre est saturé d’empêchement.
…
Qui arrive là ? (Anna tape du pied sur la petite scène)
Faire de la politique à un niveau professionnel est moins compliqué, plus inclusif.
« Pour chaque flic avec un fusil, 100 emplois qui n’existeront jamais… et la sécurité ? De la terre ? De tous les corps ? De l’eau ? », dit Dammon Philips dans Défaire la Police… (conseillé par Eli, en vente, au guichet...)
Pour chaque artiste, 100, 1000 ? personnes qui n’ont pas voix au chapitre ?
Raïssa : femme invisible. Je vois.
C’est fou aussi cette injonction à être vu·e mais pas trop quand même. Tu vois, ce truc de robe rouge, ça te foutait dans un rôle malgré toi et en même temps t’offrait à une forme de danger.
Mais on est souvent en danger, de toute manière. Moi j’ai essayé aussi, avant d’être le corps gouine, le corps butch-soft, pourtant pas trop criard, j’ai essayé de porter la femme sur moi. Un vrai costume. Les tissages longs et lisses qui coûtent cher et tu sais pas d’où ça vient dont il faut cacher la couture à tout prix. Les lentilles vertes dont je suis pas fière pour brouiller les pistes brouillées des gens qui confondent albinisme et métissage. Imiter, s’assimiler mais le truc cynique avec l’imitation c’est qu’en réalité, on te rappelle toujours que t’es une feinte. On t’enjoint à copier pour mieux te dire que t’es l’imitation et qu’on l’a vu. Fausse féminité qui ne te va pas et pour le reste, nous devrions être des blancs d’autres couleurs, de faux blancs, des imitations de la blanchité pour pas faire de vagues. Feindre, s’assimiler, assimiler mais au final, quelle que soit la parure de nos corps, on aura beau “montrer patte blanche” – horrible expression, on sera toujours le corps du soupçon, sous contrôle, réduit au contrôle, muselé. Quel est donc le prix de la paix ?
Je pense à ça, à cause de la docilité tu sais dont il était question au bord de scène. Être dociles pour rester en vie, pour passer les radars et pourtant, iels peuvent décider que ça ne suffit pas.
Raïssa : Femme noire, montrer patte blanche
Anna : Mère courage sœur sourire
Raïssa : Lesbienne trouble-fête
Anna : Mais Eli avec cette danse libre hors des codes cette expression autodidacte bouge aussi des codes et des rochers.
Ces rochers il les a bougés pour nous, bousculés pour nous. Il ouvre une voie d’insubordination radicale pour nos corps.
Il a inscrit une vengeance sur scène et dans les étoiles.
Et quelques jours après le spectacle dont j’ai dit qu’il m’oblige… je me sens déjà bizarrement plus légère et plus agile et moins flippette parmi les flippettes.
Le spectacle m’a digérée.
J’ai envie
de protection
de morsure
d’alliances de plus en plus improbables
de vengeance
de petits rendez vous
de baisers dans le cou
de coucher de soleil
Raïssa : Je ne sais même pas si c’est ok de demander la tranquillité. Est-ce que tout ça, nous ramène à ça ?
Demander la tranquillité ? la tranquillité comme horizon politique est-ce que c’est suffisant ?
…
Anna : Je suis en mue, débarrassée au moins un peu, du poids de « passer bien » …
ayant reçu le cadeau d’une force
qui pourrait me tuer de honte si je ne m’en sers pas en retour.
Raïssa : Et maintenant quoi faire avec ça ?
Anna : A Eli... Vitamine Alpha Beta Delta Gamma Pi Upsilon XXX.