La Bellone

RÉSIDENCE / ÉCRITURE

Les enfants peuvent-elles parler?

17 > 29/04/2023
Visuel © Ayoh kré Duchâtelet. Collage numérique

Le titre du texte sur lequel je travaille Les enfants peuvent-elles parler ? est inspiré du texte de Gayatri Spivak Can the subaltern speak ?, dans lequel Spivak développe une réflexion sur la condition subalterne en rapport à la parole et à l’énonciation : quand les subalternes s’expriment personne ne les écoutent.


Les enfants peuvent-elles parler ? cherche à prolonger ces questions à travers l’histoire d’un groupe d’enfants aphasiques en territoire colonisé. Ici la condition subalterne est doublée de celle de l’«enfant», l’«infans»; celui ou celle qui ne parle pas. Enfant, aphasie, fable; ces trois mots partagent la même racine latine, le participe passé de fari « parler ». Dans l’idéologie coloniale et patriarcale, l’enfant, celui qui ne parle pas, c’est aussi le·la colonisé·e qu’il faudrait, à travers l’éducation coloniale, « amener à un niveau supérieur de civilisation ». En Afrique de l’Ouest, dans les pays de l’ancienne zone CFA (Colonies Françaises d’Afrique), le système scolaire colonial a contribué à hiérarchiser et disqualifier les langues africaines qui devenaient « dialectes » au côté de la seule unique langue française.

En considérant la langue, depuis cette histoire coloniale, la recherche se propose d’interroger la langue comme le lieu depuis lequel se forment et s’exercent des rapports de pouvoir.


Ayoh kré Duchâtelet (1983, belgo-ivoirien, vit et travaille à Bruxelles, Belgique)

La démarche artistique d’Ayoh Kré implique un travail d’enquête documentaire sur des situations de l’histoire coloniale et contemporaine. Les recherches donnent lieu à des assemblages fictionnels hétérogènes; textes, images, vidéos, sons, installations de documents...

Après un parcours en tant que designer graphique et scénographe pour des institutions culturelles, des associations et des artistes, Ayoh Kré s’engage progressivement, à partir de 2017, dans une pratique artistique. Depuis lors, il a participé à plusieurs expositions et résidences (Laboratoire Kontempo [Kinshasa], Laboratoires d’Aubervilliers [Paris], iMAL [Bruxelles], Galerie de l’Erg [Bruxelles], Constant [Bruxelles...]...

Ayoh Kré coédite la revue sika, est enseignant à l’Erg et travaille au sein de l’atelier de design graphique La Villa Hermosa qu’il a cofondé en 2009. Il a été scénographe de la Biennale de Lubumbashi en 2019. Il est diplômé de l’ERG—Ecole de Recherche Graphique [arts visuels et de l’espace] et de l’UCL [cultural studies]. Il fait partie du groupe de chercheur·euses Reconnecting-objects: epistemic plurality and transformative practices in and beyond museums, qui vise à développer une recherche orientée vers l’action afin de déplacer les approches des collections coloniales et leurs futurs potentiels.

Sa pratique se développe aussi avec une importance accordée aux rencontres et aux collaborations; depuis début 2022, il travaille avec le collectif d’artistes/producteur·ices Prairie permanente, société de production autogérée par des artistes, auteur·ices et performeur·seuses désireux·seuses de mettre en commun des ressources techniques, administratives et méthodologiques acquises tout au long de leurs parcours. Il collabore régulièrement avec Sophie Sénécaut [résidence aux Laboratoires d’Aubervilliers en 2021]. Depuis 2018, il explore différentes modalités d’hybridation de méthodes de recherche en art avec Dvora Levy, Lionel Maes et Antoine Wang. De 2018 à 2021, il a coordonné le programme de l’atelier pluridisciplinaire Design et politique du multiple à l’Erg.

Légende Photo : ayoh kré, collage numérique, 2021. Photographie personnelle sur les pages 82 et 83 de Senghor, Léopold Sédar, Sadji, Abdoulaye (1953). La belle Histoire de Leuk-le-lièvre, Cours élémentaire des écoles d’Afrique Noire, Hachette, Paris, p.82-83.