La Bellone

RÉSIDENCE / RECHERCHE

De nos cœurs battants

16/09 > 4/10/2024
Visuel © Andrew Skowron, Photographie Transport of animals - Poland 036 © Laeticia Defendini, VisuelMontage_LD

Sur le temps de quelques années, nous avons levé progressivement un voile pour nous-mêmes sur la domination des animaux, leurs instrumentalisations aussi bien que leurs exécutions, pour notre usage à nous les humains. Un monde exploité au bénéfice d’un autre dans l’invisibilisation totale des process de la production alimentaire et vestimentaire contemporains. Ce qui n’existe pas n’a pas de statut, n’a pas de reconnaissance, comme une fatalité.

Nous nous sommes rendu compte qu'il existait alors une littérature riche et complexe, elle aussi absente de l’histoire des idées, elle aussi invisibilisée, rendue comme inconsciente alors qu'elle alimente pourtant toutes les utopies politiques et philosophiques.

Il y a là matière à discussion : comment imaginons-nous notre avenir ? Et si, au lieu de nourrir toutes les dystopies, aussi vraisemblables soient-elles, nous imaginions plutôt un futur désirable ? Une façon de lier la terre, les non-humains et nous, une façon de faire monde ? Un monde hors de la domination…

Pour cela, nous avons eu envie de questionner, prendre le pouls autour de nous. Savoir ce qu’il en est de notre relation aux animaux, s'il existe un monde sans la souffrance animale, requestionner les utopies politiques à l’aune de cette question et les agencer de telles sortes qu’elles nous présentent d’autres manières d’habiter le monde.

Nous voulons faire de cette résidence à la Bellone l’occasion d’un partage d’expérience sur notre envie du futur, par-delà nos angoisses légitimes, entrouvrir la perspective d'où les non-humains pourraient, à leurs mesures, apporter, eux aussi, leurs voix.

Sarah Siré, metteuse en scène et dramaturge

J’ai cessé de manger de la viande, après avoir fermé le livre de Joseph Andras, « Ainsi nous leur faisons la guerre, j’ai cessé de manger de la viande ». Instantanément. Je n’ai pas eu à négocier avec moi-même, je n’ai pas eu d’effort à faire, c’était là, évident. Bien sûr, il n’y a pas eu sur mon chemin que ce livre pour arriver à ce moment. Beaucoup de pierres ont été posées sur mon chemin de conscience pour que ce livre parachève le tout. Mais j’ai rencontré une puissance et une qualité de récit unique. Il ne vient pas nous chercher à l’endroit du dégoût, des abattoirs, de la morale. Non, il vient nous chercher à l’endroit de la conscience, de l’empathie, de la vision politique, égalitaire. La statue du chien, le regard du singe, la fuite de la vache, toutes ces histoires nous touchent au cœur car elles nous parlent de nous, de notre domination sur celui, celle, qui est plus fragile parce qu’il n'a pas le langage. Quand je regardais ma mère, malade d’Alzheimer, je reconnaissais dans son regard celui de l’animal, le regard présent mais ailleurs, dans un monde de conscience auquel je n’avais pas accès, mais un monde qui existait. Elle n’avait plus le langage, que des sons, des mouvements, des choses incompréhensibles pour nous. Et pourtant elle était là, présente, dans la vie. Ma mère n’était plus dans le même monde de sens que moi. Pour autant, est-ce que cette absence au monde me donnait le droit de la manger ? Voilà la déflagration. Le moment de conscience au retour impossible.

Fabien Defendini, coordinateur de projets culturels et dramaturge

J’ai été un enfant végétarien par l’éducation de mes parents, a contrario d’un environnement scolaire qui m’incitait à manger de la viande. J’avais assimilé le discours de ne pas faire de mal aux oiseaux. Avec le temps, je me suis familiarisé à cette différenciation sociale tout en subissant malgré tout une forme d’exclusion. J’ai redécouvert la viande à vingt ans avec ma copine de l’époque et pendant dix années j’ai pu expérimenter les différentes saveurs cuisinées de la viande tout en vivant une sorte d’extraversion dans ma relation aux autres. Au milieu de ce monde en mouvement, je suis devenu père. La présence de mon fils a agi comme un rappel à une certaine existence, j’avais à cette époque de grands accès de colère. J’ai voulu revenir à une forme de sagesse pour être capable de transmettre une part de la beauté du monde sans hypocrisie envers mon fils qui grandissait à mes côtés. J’ai lu La voie de la non-violence du Mahatma Gandhi. Je trouvais cet homme remarquable pour sa très grande détermination politique associée à sa volonté de non-violence. Dans son livre, il établit une correspondance entre la consommation de la viande et l’exercice de la violence. Cela a eu un écho profond en moi, je sentais physiquement le lien entre l’appétit de la viande, le goût du sang, découper avec mes dents la chair animale et le fait de m’abandonner à ma propre violence. J’ai assumé alors adopter un végétarisme de conviction justifié, qui plus est, par une nécessité écologique. Aujourd’hui je découvre une dimension supplémentaire. Je ne souhaite plus aliéner les animaux dans l'élevage, ni même cautionner leurs morts dans les circuits de la production de l'alimentation animale pour une simple jouissance gustative. Je fais alors mes premiers pas dans l’alimentation végétale.