La Bellone

Dyptique : J'épuiserai le blanc

20/05 > 3/06/2019


L'artiste vient travailler 2 semaines à La Bellone au développement conceptuel de sa future création. Elle/Il vient interroger et circonscrire l'ambition esthétique de son projet avant d'entamer la production des matières nécessaires à sa création. L'artiste passera deux journées en dialogue avec une de nos dramaturges associées.

En septembre 2016 j’entame un cycle de recherche sur les notions de révolte et d’impuissance. Comme beaucoup d’entre nous (j’entends pas nous, société civile) je suis choquée par la marche du monde : la gestion des problématiques territoriales et migratoires, l’impunité des sphères politiques au niveau international qui affaiblit et dégrade nos démocraties, l’impact des violences structurelles sur la vie des êtres que nous sommes, bref nos fictions officielles me glacent. Face à nos vulnérabilités et nos délires de puissance qui font du monde le lieu où s’exerce le crime, une question persiste : pouvons-nous déplacer un peu de nous-même, et dans cet effort redéfinir des conditions d’existences acceptables ? Si je suis affectée au plus profond de moi-même par ce qui me parviens du monde, je ne saurais pour autant me départir d’une autre observation du réel tout aussi prégnante et hautement plus puissante que la dévastation systématique qu’on nous propose, et qui consiste en une série d’actes et d’inventions humaines remarquables en marge des injonctions et des valeurs dictées par nos gouvernements ; et c’est à la faveur de ces engagements humains là, que j’ai eu envie de répondre en me reliant formellement à des principes et des rêves grâce auxquels une série de projets est en train de se mettre en place. Guidée par l’envie de « rendre plus clair à nos yeux ce que nous pourrions idéalement être » selon l’expression d’Alain de Bottom dans son ouvrage « l’architecture du bonheur », il s’agit de créer une tension entre ces deux pôles que sont nos vies impossibles et les utopies en actes.

J’ai choisi d’attacher une attention toute particulière à l’architecture comme levier d’une contestation concrète et métaphorique, j’avais envie de ramener au cœur de nos préoccupations scéniques des enjeux de structures et d’attention portée aux êtres et aux choses donc à la matière.
Un solo Ce qu’il reste à faire et là où nous en sommes et  un duo Foghorn sont en cours de d’écriture. Nos habitudes constituera  le troisième volet de cette recherche. La résidence dramaturgie à La Bellone me permettra d’en dégager les axes formels et également de remettre à l’étude ce qui permet d’articuler de façon cohérente les trois propositions.
La petite porte d’entrée que je me propose pour initier ce nouveau projet est la conclusion de deux biologistes et théoriciens de l’évolution cités dans l’entraide une autre loi de la jungle de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle :
« L’égoïsme supplante l’altruisme au sein des groupes. Les groupes altruistes supplantent les groupes égoïstes. Tout le reste n’est que commentaire. »

Jeanne Brouaye est une artiste française qui travaille dans le champ des arts scéniques. Elle suit des études de lettres, se forme au jeu d’acteur à l’ENSATT et à la danse contemporaine de façon non académique, elle mène pendant plusieurs années ces deux pratiques en parallèle, ce qui la conduit en tant qu’interprète à fréquenter des esthétiques très différentes.

Son passage dans la troupe du TNP que dirige Christian Schiaretti lui apportera une solide expérience du plateau et une grande acuité à l’égard de la langue ; la collaboration qui s’enclenche avec la chorégraphe Olivia Grandville les trois années suivantes lui permet d’acquérir une perception plus fine des enjeux qui sous-tendent l’écriture chorégraphique ; enfin, sa rencontre avec des artistes tels qu’Agnieszka Risckiewicz, Pietro Marullo, Arnaud Pirault, ou encore le vidéaste Pierre Amoudruz l’engage sur des projets performatifs qui déjouent les codes et les enjeux de la représentation. Reste sa pratique de la musique en tant qu’autrice-interprète dans le projet Electric blue gril qu’elle considère comme un pas de côté dans son parcours mais qui remet l’enjeu vocal au centre de sa pratique. Forte de ces expériences à géométries variables, elle décide en 2016 de faire la synthèse de toutes ces pratiques et de se concentrer sur le développement de son propre langage scénique, dégagé de tout clivage formel et qui se situe à mi chemin entre la performance, le théâtre, la danse et les arts visuels. Elle s’installe à Bruxelles, devient artiste associée à Boomstructur (pôle de recherche et d’accompagnement pour jeunes créateur·rice·s en art de la scène à Clermont-Ferrand). Assembler, faire et défaire sont au coeur de ses préoccupations.
Elle conçoit la construction d’objets scéniques comme un paysage évolutif, un lieu fait d’apparitions et de disparitions qui remet sans cesse en jeu la question des perceptions humaines. Il s’agit donc d’agencer, pour qu’une organisation faite de choix et de hasards puisse peu à peu s’affirmer sans s’imposer. Son travail sera présenté en décembre 2019 au CDCN la Manufacture à Bordeaux, également dans le cadre du festival Artdanthé en mars 2020.