La Bellone

Modules 2020

Du 27 au 30 janvier avec Alexandros Mistriotis (GR)

Et le théâtre ? Qu'est-ce que le théâtre ? Notre réponse devra ouvrir le champ. Il faut résister à transformer le théâtre en quelque chose, en une reconstitution, en « théâtralité ». Il est nécessaire à chaque fois d’aboutir à nouveau à une forme et de ne pas partir de celle-ci. Comme notre humanité doit rester émergente, sans définition, le théâtre aussi existe seulement s’il peut apparaître partout, seulement s’il est une qualité de l’humain et non pas un artifice, un dispositif. Il serait impensable que les finances, les bâtiments, les équipements ou les relations publiques définissent son existence. Nous allons, donc, examiner comment on fait du théâtre là où nous sommes, sans rien. Dans la ville ou dans un théâtre, dans une maison ou dehors au milieu de nulle part. Le théâtre vu comme ça devient une expression d’un état de l’être, l’expression d’une qualité du désir, une révélation de « l'ailleurs ». Je n’ose pas, donc, dire ce que c’est le théâtre. Je peux néanmoins parler de sa source, de son lieu d’origine. De son origine dans l'Athènes antique, c'est-à-dire au pied du rocher de l'Acropole où il se déploie et existe à une époque où théâtre, poésie, philosophie ne se distinguent pas. La tragédie est un genre poétique et ceux qu'on appelle aujourd'hui « philosophes » accepteraient probablement volontiers le titre de poètes et non pas celui de philosophes qui n'existait pas alors. Et si nous retournons à ce lieu d’origine qui est un moment, le premier moment où Thespis fit et fait encore ce premier pas là de sortir du chœur, cet instant-là décisif, peut-être ici nous pouvons voir quelque chose du théâtre, quelque chose de suffisant, c'est-à-dire d'inépuisable : Le théâtre est une parole adressée. Né par le désir de distance qui naît du désir de rencontre. Ce module va inviter ou visiter ce désir d’adresser la parole. D’abord avec des exemples précis en parlant de projets antérieurs comme des témoignages rapportés des voyageurs. Et puis nous allons investiguer ensemble l'évolution d’un projet ; on va tester les outils, les questions, les partitions et les doutes qui sont à notre disposition.

Alexandros Mistriotis a fait ses études en France à l’ESBAM (Ecole Supérieur des Beaux-Arts de Marseille). Son profil artistique est fuyant et son travail oscille entre les images et les textes, la présence et la représentation, la rigueur et l’abstraction. Les performances de ses textes font partie de son projet pour un « Théâtre de la Quiétude » et ses textes sont inscrits dans une recherche sur l’oralité contemporaine et restent, donc, non publiés. Il est souvent invité à intervenir sur des thèmes divers tels que la relation de l’art avec la société ou l’influence des narrations à notre présent commun.

Du 17 au 21 février avec Daniel Canty (CAN)

Je suis d’abord écrivain. Je suis devenu dramaturge par hasard. Et je le suis demeuré par acquis. L’écriture est pour moi un art vivant (y en a-t-il d’autres ?) et c’est par l’entremise de ses pouvoirs et propriétés spécifiques que j’envisage le travail dramaturgique. Les expériences que j’ai vécues, et les outils que j’ai pu développer en me prêtant aux jeux du plateau, ont à leur tour modifié en profondeur mes manières d’envisager, et de pratiquer, l’écriture. Je dois, à chaque nouvelle invitation, m’inventer un rôle, puis m’effacer derrière un personnage, qui n’est plus exactement celui de l’écrivain, et pourtant. Que mon écriture soit conviée au cœur de la proposition ou plane à ses marges, je souhaite qu’elle demeure une force active dans l’émergence d’une forme vivante. En me demandant de me positionner face à un univers parallèle qui prend forme devant mes yeux, de devenir le témoin de son émergence, je me dois de continuer de tenir parole. Cette posture me demande de puiser dans le même fond d’intuitions, les mêmes matières, qui animent mon écriture. Mon rapport à l’art discret de la dramaturgie – cette diplomatie esthétique, où se côtoient la délicatesse et l’inconfort, et où les nécessités de « faire œuvre » se retrouvent régulièrement confrontées aux contingences les plus matérielles – recouvre donc une question de vocation : en devenant cet agent spéculaire, et spéculatif, qu’est le/la dramaturge, c’est à l’écriture, et à ses possibles, que je continue néanmoins de jurer fidélité. Les formes qui se profilent en cours de création, sont aussi importantes, dans cette perspective, que celles qui finissent par s’affirmer. Je reviens souvent, quand j’ai à entretenir de ma pratique, à l’image d’un « champ poétique unifié » : fonte poïétique, magma originel ou horizon opalescent, qui préside à l’indifférenciation première des arts et des savoirs. Peu importe la justesse empirique de cette image. Je voudrais simplement, en vous retrouvant à ce carrefour bruxellois du temps et de l’espace, éprouver avec vous la réalité de cette vision des choses, où la dramaturgie apparaît comme un art de la parole et une théorie des mondes.

Daniel Canty est écrivain, etc. Il élabore une œuvre où l’écriture se prête à toutes les métamorphoses. Il a participé à la création d’une dizaine de pièces de théâtre et de danse mais un souci dramaturgique s’applique à toutes les formes qu’il aborde : scénarisation, création de livres, d’interfaces, d’installations, d’expositions, ou de parcours performés, élaboration de traductions, de conférences, de curricula et d’ateliers… Daniel a étudié la littérature, l’histoire et la philosophie des sciences à Montréal, l’édition à Vancouver et le cinéma à New York. Il anime, depuis 2011, L’Inclasse, un cours de lecture et d’écriture indisciplinaires, à l’École nationale de théâtre du Canada.