La Bellone

1 > 27/06/2020
Visuel © Flore Herman


La/le dramaturge travaille pendant 4 semaines à nourrir sa pratique en prenant le temps d’observer sa posture et ses outils. La/le dramaturge pourra s’appuyer sur les ressources et la programmation de La Bellone pour éprouver ses avancées réflexives.  Il/Elle produit un document-trace de leurs avancées qui sera accessible sur notre site (textes disponibles ici) et au sein de notre Centre de documentation.

Pendant cette résidence, j’aimerais expliciter une pratique dramaturgique relativement récente et développée au travers des collaborations avec les artistes performeur·euse·s Anne Thuot, Sara Sampelayo, Sarah Vanhee et Akira Takayama. Elle se concentre progressivement sur la question de l’(in)visibilisation de certains corps et de certaines connaissances dans l’espace public bruxellois. J’ai été amenée à y allier la pratique dramaturgique avec un travail de médiation des publics. Plus concrètement, cela signifie soutenir des stratégies de rencontre, de dialogue, de co-écriture avec des personnes aux situations de vie et aux statuts multiples, souvent en relation avec des associations, groupes ou personnes intermédiaires.

La médiation se lie alors pour moi à la dramaturgie dans sa manière de se rendre insaisissable et de s’immiscer dans les interstices de la traduction. Leur réussite à toutes deux est d’accompagner une parole éloignée, censurée ou inaudible pour être entendue dans un autre territoire où elle pourra trouver de nouveaux échos. « Médiation », c’est aussi elle qui sert de mot magique pour l’obtention de subsides. Qui flirte avec la recherche de consensus et devient facilement le blason de la
« démocratisation culturelle » sans échapper -et contribuant même parfois- au tissage visible et invisible des rapports de pouvoirs. Artistique, culturelle, sociale, pénale, familiale, militante, elle est terriblement contextuelle. Je peux la reconnaitre, sans la connaitre, dans quantité de corps et d’actions, professionnel(le)s ou non, qui font circuler les points de vue, les expériences de vie et les savoirs, et contribuent à plus de justice sociale. Ces médiateur·trice·s, réel·le·s ou mythologiques, reformulent, explicitent, apaisent, ravivent, soignent. Et surtout écoutent.

J’aimerais alors prendre ce temps à La Bellone pour revenir sur des stratégies dramaturgiques passées, les nourrir des dialogues avec d’anciennes collaborateur·trice·s et rassembler des pratiques et des figures dans ce qui pourrait devenir une petite anthologie critique de la participation. Voir comment continuer de travailler avec/au sein de l’asymétrie des mondes, inviter à aller dans des lieux auxquels on n’appartient pas, qu’on ne s’approprie pas, qu’on aime mais qu’on doit quitter, qu’on aime pas mais qu’on peut habiter. Qui ouvrent des portes, physiques, mentales, affectives, parfois minuscules et éphémères, dont c’est un privilège de passer le seuil.

Après des études en Arts et Langages (EHESS, Paris) et en Arts du Spectacle (ULB, Bruxelles), Flore Herman (1989) travaille en tant que productrice, médiatrice, modératrice et rédactrice au sein du Kunstenfestivaldesarts et pour d’autres maisons culturelles de Bruxelles (Les Brigittines, Kaaitheater, Théâtre National, CIFAS). Parallèlement, elle a collaboré avec Anne Thuot et Sara Sampelayo autour de Lydia Richardson (2015-2019), une série de performances qui exploraient les privilèges européens dans le contexte postcolonial belge et français. Avec l’installation vidéo You Will Be Missed (2017-2019), elles interrogeaient la présence du patrimoine culturel africain dans les intérieurs privés d’habitant·e·s de Marseille, Rennes, Clermont-Ferrand et Bruxelles. Au cours de cette recherche, la question de l’(in)visibilisation des corps et des savoirs a progressivement pris une place centrale. Flore tente alors d’aborder la pratique dramaturgique au croisement de l’accompagnement artistique et de la médiation socio-culturelle. À Bruxelles, les écarts sociaux sont aussi impressionnants que les réseaux de collaboration et de solidarité qui tentent d’y remédier. Institutions, associations, groupes militants ou initiatives citoyennes forgent des terrains de lutte et de transformations potentielles qui se nourrissent mutuellement. Dans cette perspective transversale, Flore travaille aujourd’hui à développer bodies of knowledge (2020-2022), une salle de classe alternative initiée par l’artiste Sarah Vanhee, en collaboration avec Nadia Mharzi et plusieurs partenaires artistiques et sociaux bruxellois. Bodies of knowledge propose de créer un lieu nomade, dans l’espace public, pour apprendre « les uns des autres ». Le regard dramaturgique s’y exerce sur la ville, ses habitant•e•s et usagers, ses organisations constituées ou spontanées. Il envisage ces acteur•trice•s comme autant de corps de connaissances (ou « experts de vie ») qui contribuent à plus de justice sociale, même s’ils ne sont pas toujours reconnus comme tels. Faire vivre cette salle de classe publique, ce sera : collecter, inviter, faciliter, mettre en relation des connaissances qui mettent à l’épreuve les rapports eurocentrés et dominants au savoir. A côté de ce travail avec Sarah Vanhee, Flore accompagne également en tant que dramaturge locale la version bruxelloise de Mcdonalds Radio University de l’artiste japonais Akira Takayama.